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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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ma chambre.
    — Tu as tort. C’est très important, murmura Nicolas. Il réfléchit un moment et ajouta :
    — Plus important que tout le reste.
    Quelques instants plus tard, comme Tania se trouvait dans son cabinet de toilette, dont les fenêtres donnaient sur la cour, elle vit, à travers les carreaux constellés de givre, son frère et ses enfants qui piétinaient dans la neige autour d’un grand trou. Nicolas, avec sa canne, traçait une ligne sur la couche blanche qui recouvrait le sol. En même temps, il parlait avec animation. Son haleine sortait en buée de sa bouche. Serge brandit son arbalète et courut délivrer le chien qu’on avait enfermé dans la niche. Il criait :
    — Ça commence ! Ça commence !
    Cependant, M lle  Fromont dérangea la fête. Elle apportait des cache-nez supplémentaires et des gants fourrés. Il y eut des protestations, des pleurnicheries. Boris se roulait par terre, Serge hurlait :
    — Je les mettrai plus tard. Maintenant, on se bat !
     
    — Passionnant ! s’écria Zagouliaïeff. Ils t’ont costumé. Ils ont fait de toi un héros. Ils vont te donner une petite noix pour te dédommager de ta blessure.
    Ils étaient assis côte à côte, dans une salle de la galerie Trétiakoff. Les visiteurs étaient rares. Une lumière froide et calme baignait la surface vernie des tableaux.
    — Ainsi, tu es content ? reprit Zagouliaïeff.
    — Oui.
    — Content de n’être plus que du matériel humain au service du tsar ?
    — Je t’ai déjà dit, murmura Nicolas, que je ne me battais pas pour le tsar, mais pour la patrie. Quand la patrie sera délivrée de la menace extérieure, nous mettrons de l’ordre chez nous, nous chasserons le tsar…
    — Il sera trop tard, dit Zagouliaïeff. La victoire le rendra populaire. Aidé par les Alliés, il se cramponnera comme une pieuvre à son trône. Il profitera de ton sacrifice pour affermir son autorité. Il flanquera en prison tous ceux qui oseront lever la tête. Toi le premier, toi le premier, Nicolas. C’est maintenant qu’il faut agir.
    — Une révolution en temps de guerre est impossible, dit Nicolas.
    — Pourquoi ?
    — Parce que, privée brusquement de ses chefs, mêlée sans préparation à une aventure politique, l’armée se désorganisera sur toute l’étendue du front. Alors, l’ennemi envahira notre territoire.
    — Nous signerons une paix séparée !
    — Comment peux-tu parler de paix séparée, alors que nous avons donné notre parole aux Alliés ?
    Zagouliaïeff éclata de rire et se renversa sur le dossier de la banquette. Le sang rougit ses larges oreilles écartées.
    — Ta sollicitude à l’égard des Alliés m’enchante, dit-il. Occupe-toi un peu moins des Alliés et un peu plus de nous. D’ailleurs, es-tu bien sûr que les Alliés ne nous trahiraient pas si nous tombions dans le malheur ? Pas de sentiments en matière de politique. Tant que leurs intérêts matériels concordent, les nations marchent côte à côte et se jurent fidélité. Dès que leurs intérêts matériels commencent à diverger, les nations se séparent. Il ne s’agit pas d’idéal. Il s’agit de blé, de fer, de voies maritimes, d’hégémonie industrielle ou marchande. Crois-moi, si la France ou l’Angleterre recevaient de l’Allemagne des compensations suffisantes, elles nous laisseraient choir sans attendre la fin de la guerre. « Débrouillez-vous. Nous, on est payés… » Voilà la politique. Souviens-toi de François-Joseph, qui n’a été consolidé sur son trône que grâce à l’armée russe. Que penses-tu de sa gratitude à notre égard ? Il nous hait. Et il a raison. Est-ce qu’ils sont tous aussi bêtes que toi, au front ?
    Nicolas fut sur le point de s’offenser, mais, très vite, il jugea ridicule ce début d’indignation bourgeoise. Entre Zagouliaïeff et lui, les mots avaient une valeur spéciale. Quelle que fût la nature de leurs dissentiments, une complicité obscure les liait l’un à l’autre.
    Un gardien passa devant eux, les mains dans le dos, l’œil voilé. Nicolas attendit qu’il se fût éloigné et dit sans conviction :
    — Le moral du soldat est admirable. Les officiers sont courageux. N’étaient le manque de munitions, la difficulté des transports, la désorganisation intérieure…
    Zagouliaïeff l’interrompit avec violence :
    — Pauvre

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