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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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affluaient aux postes de secours parlaient de châtiment divin.
    Après de multiples déplacements, l’hôpital où servait Nina s’était établi dans la petite bourgade galicienne de Zolkiew, aux environs de Rawa-Ruska. Quatre-vingts hommes étaient entassés là, dans une villa de plaisance, ombragée d’arbres centenaires. Tous réclamaient à grands cris qu’on les transportât ailleurs, car l’ennemi approchait, et la canonnade faisait trembler les assises de la maison. À plusieurs reprises même, des aéroplanes allemands avaient lâché des bombes et des fléchettes d’acier sur la ville, mais sans causer de dégâts sérieux. Cependant, les trains vers Varsovie étaient rares, et, malgré les appels réitérés du docteur Siféroff, la direction du Service de Santé n’envisageait pas encore l’évacuation des blessés vers l’arrière.
    Le soir du 30 juin, après une journée épuisante, Nina reçut une lettre de son mari et se retira au jardin pour la lire en paix. Lorsque le docteur Siféroff vint la rejoindre, il la trouva assise sur un banc, le visage penché, les mains aux genoux.
    — Bonnes nouvelles ? demanda-t-il en s’installant auprès d’elle.
    Il avait une figure raidie par la fatigue. Ses yeux étaient petits et tristes. Des taches de sang souillaient son tablier blanc.
    — Je ne sais ce que je dois penser, murmura Nina. Mon mari m’écrit qu’après de nombreuses démarches, il a obtenu d’être relevé de ses fonctions à l’avant et transféré à l’hôpital municipal d’Ekaterinodar.
    Les lèvres de Siféroff s’entrouvrirent, mais il ne répondit rien.
    — Il me dit qu’il est exténué, reprit Nina. Il a pris froid. Un point pulmonaire…
    — Eh bien, dit Siféroff. Vous devez être contente. C’est un souci de moins pour vous.
    — Ou de plus, dit Nina.
    Il y eut un silence. Le vent inclina de grandes épaisseurs de feuillage au-dessus de leurs têtes. Sur le sable de l’allée, des taches de soleil pâle se déplacèrent. Nina n’osait pas lever son regard sur Siféroff. Elle se sentait faible et honteuse, depuis la réception de cette lettre. Il lui semblait qu’une mauvaise action venait subitement d’enlaidir sa vie.
    — Qui le remplacera ? demanda Siféroff.
    — Je l’ignore, dit Nina. Il me parle d’un jeune camarade d’Ekaterinodar qui voulait permuter avec lui…
    Et, soudain, elle s’écria, les yeux pleins de larmes :
    — Comment peut-il se résoudre à quitter ses blessés, à lâcher sa mission, à se réfugier dans un hôpital de l’arrière ?
    — Puisqu’il est fatigué, dit Siféroff avec lenteur.
    — Nous aussi, dit Nina, nous sommes fatigués !
    — Ne vous demande-t-il pas de le rejoindre à Ekaterinodar ?
    Le cœur de Nina battit rapidement et ses joues devinrent brûlantes.
    — Si, chuchota-t-elle.
    — Vous auriez tort de refuser, dit Siféroff. Je vous fournirai les certificats nécessaires. Je hâterai les démarches. Il est absurde que vous demeuriez ici, puisque votre mari rentre à Ekaterinodar où sont également vos parents.
    Nina tressaillit et courba les épaules. Elle regardait fixement le sol et retenait son souffle, en proie à un bouleversement qu’elle n’aurait pas cru possible quelques instants plus tôt.
    — Tout cela me paraît facilement réalisable, continua Siféroff. Vos parents seront si heureux !…
    Un spasme, qui ressemblait à l’étreinte de la peur, serra la poitrine de Nina. Elle balbutia :
    — Ils n’ont pas besoin de moi. Ni mes parents ni mon mari…
    Puis, elle jeta un coup d’œil rapide vers la bâtisse blanche de l’hôpital et soupira :
    — Oh ! non, je ne partirai pas.
    Quand elle réfléchissait à ses parents, à son mari, ils se révélaient lointains, abstraits et à peine aimables. La vie était ici, parmi ce sang et cette angoisse. Abandonner les blessés lui paraissait aussi monstrueux que de les tuer ou de cracher au visage du Christ. Elle ne concevait pas que Mayoroff eût déserté son poste, par lassitude ou par poltronnerie. Bien qu’elle ne l’eût jamais considéré comme un homme remarquable, cette preuve de lâcheté la remplissait d’indignation. Elle était devant lui comme devant un étranger décevant. L’idée même qu’elle portait le nom de Mavoroff lui semblait comique.
    — Qu’allez-vous répondre à votre

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