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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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passée ?
    Il venait de se rendre compte que Jehanne avait subitement disparu.
    — Juste ici, sous la table. Le hochet d’Adam est tombé tout à l’heure et j’étais en train de l’oublier à cause de vous.
    Le moine posa un cruchon et des écuelles sur la table avant de se rasseoir. Il se pencha pour retirer ses sandales et les rejeta négligemment sous la table, où elles allaient demeurer, oubliées à leur tour, jusqu’au lendemain. Tout en faisant circuler le cidre frais, il s’empressa de reprendre la discussion où ils l’avaient laissée :
    — Louis, c’est dans l’obscurité sécurisante du cellier que j’ai reçu l’illumination.
    — Voilà qui m’étonne.
    Lionel rit avec Jehanne.
    — Ah ! toi, tu es bien mon fils.
    Le bourreau abaissa les yeux sur la table. Maintenant que tous savaient que Louis était le fils du moine, on s’étonnait de remarquer que certains de ses traits ou manières étaient comparables à ceux du bénédictin. Ces ressemblances subtiles étaient jusque-là passées inaperçues, alors qu’à présent elles faisaient de Lionel une sorte d’alter ego vieilli de vingt ans.
    — J’ai encore un peu de mal à me faire à cette idée, dit Louis.
    Lionel reprit tout à coup son sérieux :
    — Pendant des années, j’ai porté sur moi le crime insigne d’où découlent tous les autres crimes. La lettre.
    — Quelle lettre ? demanda Jehanne.
    Mais au lieu de répondre, Lionel expliqua :
    — Abraham a accepté de tuer son fils par obéissance. Nous avons fait de même. Tous les deux.
    Louis inclina la tête et réfléchit un instant avant de dire :
    — Ça se tient.
    Il s’installa plus confortablement et poussa du bout de son pied une des sandales errantes de son père.
    — Je savais le mal que je faisais et cela ne m’arrêtait pas, dit Louis, car je ne pouvais rien faire d’autre, pas même fuir. J’avais une bonne raison. Mais ça me mettait hors de moi d’avoir à le faire. Lorsque ça me tourmentait trop, je me disais que c’était le prisonnier qui me contraignait à le faire souffrir, parce qu’il refusait d’avouer ou parce qu’il avait commis un crime.
    Louis fit pensivement tourner son écuelle de cidre entre ses mains.
    — Ils avaient beau m’ordonner de m’endurcir et me répéter que ceux que j’allais mettre à mort étaient des criminels qui avaient mérité leur supplice, je le faisais en attendant de pouvoir me venger de… de mon oncle…
    Il s’interrompit pour jeter à Lionel un bref coup d’œil, avant de poursuivre :
    — … mais ça ne m’a pas fait une armure pour me protéger le cœur. Ils ne m’avaient rien fait, à moi, ces gens-là. Les premières années, surtout, ça me désemparait. Ce n’est pas sans raison que mes compères prennent une cuite avant ou après leur prestation. Ou les deux. Moi, je ne faisais pas ça. J’avais trop peur de perdre la maîtrise de moi-même. Mais je les comprends.
    — Moi aussi, dit Jehanne. Quel tourment cela doit être pour vous. C’est par la faiblesse des hommes que le bourrel* est devenu nécessaire.
    — C’est vrai, renchérit Lionel. Et aucune humiliation n’est épargnée au bourrel*. Pourtant, je crois que c’est un être béni entre tous, car c’est le plus éprouvé. La loi lui ordonne de commettre en son nom et au nôtre un acte brutal, irréversible, celui de prendre une vie humaine. Elle exige de lui qu’il renonce à sa plus tendre éducation, à sa conscience même, à ce qui fait de lui un être humain. Elle remet entre ses mains le pouvoir de tuer son prochain, les individus par elle désignés, et elle lui dit : « Obéis-moi, va faire ton travail et je te récompenserai, car tu acceptes d’endosser ce rôle aberrant au nom de tes frères. »
    — En un mot, c’est ça, dit Louis.
    Jehanne donna à son mari une petite tape sur le bras.
    — Tu te moques de moi, dit Lionel.
    — Un peu. Mais c’est bien, ce que vous avez dit.
    Venant de lui, il s’agissait d’un véritable hommage. Ravi, Lionel but à sa santé. Cette nouvelle réceptivité de la part de son fils lui montait davantage à la tête que le vin d’une futaille centenaire. De son côté, Louis commençait à connaître et à apprécier un peu plus son nouveau père, cet intellectuel pétri d’idéalisme, par le simple fait qu’Adélie l’avait aimé. Louis ajouta :
    — Tout le monde me disait tout le temps que je n’étais pas un homme. Peut-être qu’à

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