Le salut du corbeau
d’enfant. Cette idée lui était insupportable. Ce fut à cause d’elle que, pour la première fois de sa vie, il eut hâte de se trouver devant Baillehache.
Derrière sa grille fermée, la maisonnette rouge se pelotonnait dans une débauche de plantes et de fleurs qui n’était pas sans rappeler les jardins anglais. L’homme en noir qui œuvrait à cette splendeur avait l’air de se trouver là par mégarde, comme s’il n’y était pas à sa place. Le bruit que fit Sam en descendant de cheval le fit se retourner. Tout d’abord, le bourreau resta là sans bouger, une rose sauvage dans la main. Il ne dit rien. Sam non plus. Puis, sans lâcher sa rose, Louis vint vers lui pour lui ouvrir la grille. Sam guida son cheval avec précaution jusqu’à l’écurie, sur un petit trottoir fait d’anciens pavés qui disparaissait presque sous les buissons denses. Louis referma la grille et, toujours en silence, s’en alla attendre son visiteur dans la maison.
Une écuelle de soupe et un quignon de pain attendaient Sam à l’un des bouts de la table. Louis avait déjà pris place à l’autre extrémité. Un cruchon de vin était posé entre les deux. Louis l’invita d’un geste à s’asseoir, ce qu’il fit du bout des fesses. Ils mangèrent en silence. De plus en plus souvent, les yeux émeraude de Sam se posaient sur l’hôte qui ne manifestait aucune intention de parler. N’y tenant plus, il finit par briser ce silence qu’il trouvait ridicule :
— Vous ne me demandez pas ce que je suis venu faire ici ?
— Puisque c’est toi le messager, j’imagine que tu vas me le dire. J’attendais.
— Comment avez-vous su que c’était moi le messager ?
— Je n’en savais rien. Je l’ai deviné, c’est tout. Pour quelle autre raison serais-tu ici ?
Sam faillit répondre que c’était pour Jehanne et le petit. Le bourreau versa du vin dans leurs deux gobelets en terre cuite. Sam demanda :
— C’est vrai. Mais qu’en est-il de chez vous, au domaine ?
— Quoi, au domaine ?
— Ce n’est pas vous qui leur avez dit de ne pas me recevoir ?
— Je me doutais bien que tu allais avoir l’indécence de t’y rendre un jour ou l’autre. Mais non, je n’y suis pour rien, cette fois. C’est une décision prise par ma femme. Je dois cependant admettre que je suis d’accord avec elle.
Sam baissa les yeux sur sa soupe dont la vapeur humide montait jusqu’à son visage déjà rougi. Il eût préféré une autre réponse que celle-là. Après avoir goûté la soupe, qui était excellente, il expliqua, d’un ton qu’il voulait neutre :
— Le roi avait besoin de quelqu’un qui vous ait à l’œil.
— Tiens donc.
— Oui. Je me suis proposé aussitôt que je l’ai su. Ça n’a pas été bien difficile pour lui d’accepter, puisqu’il sait que je vous connais.
— Il a déjà reçu l’hommage. Qu’attend-il de plus ?
— Vous le savez aussi bien que moi.
— Peut-être, mais je veux quand même te l’entendre dire.
Sam sourit malicieusement.
— Vos allégeances passées vous nuisent. Il tient à s’assurer que vous ne lui ferez pas d’entourloupette.
— Et c’est toi qu’on a choisi pour ça.
— Disons que j’ai fortement insisté auprès d’un conseiller pour être choisi. Ne vous méprenez pas sur mes réelles intentions, Baillehache. Il n’y avait aucune autre façon pour moi de vous rencontrer sans éveiller les soupçons.
— Je vois. Que me veux-tu ?
— Seulement quelques réponses.
Louis se redressa et exhala doucement l’air de ses poumons. Sam interpréta cela comme un consentement et demanda :
— Comment est-elle ?
— Elle va bien.
— Et l’enfant ?
— Aussi.
Sam posa rudement son gobelet sur la table et le remplit sans en demander la permission. Louis ne fit pas de remarque et se contenta de le regarder faire. Il savait parfaitement que ce genre de réponse était loin de suffire. Sam s’y prit autrement :
— Est-elle heureuse ?
— Elle m’en a tout l’air.
— Vous en êtes sûr ?
— Autant qu’on peut l’être pour ce genre de choses.
— Est-ce qu’elle a… parlé de moi ou cherché à savoir ce qu’il était advenu de moi, après ?
— Non.
Sam accusa le coup et déglutit péniblement. Il savait que Louis n’était pas un menteur. Il ferma les yeux, inspira profondément et but un peu de vin afin de se redonner du cœur au ventre pour la suite. Poli, Louis essuyait son écuelle de
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