Le salut du corbeau
combattre le feu par le feu.
— Maître Baillehache, annonça l’huissier d’une voix forte.
Après plusieurs minutes d’attente meublées seulement par l’incessant murmure des conseillers, Louis, muni de sa canne rouge à pommeau d’étain, fit son entrée dans la salle d’audience. Malgré le fait qu’il avait été mis en présence de personnes royales plus souvent que la normale pour un roturier, ce genre d’entrevue n’était pas devenu moins intimidant pour lui. Il s’avança à travers la vaste salle soudain silencieuse, s’arrêta à distance respectable des deux trônes et s’inclina brièvement avant de lever les yeux sur le couple royal.
Il ne fut pas étonné que la reine semblât parée, du moins à son avis à lui, de ses plus beaux atours. Il avait entendu dire que les rares vertus de la reine, si vertus elle avait, étaient depuis longtemps étouffées par ses appétits de luxe. L’habit du roi était, quant à lui, beaucoup plus sobre : par-dessus des braies en satanin*, il portait des hauts-de-chausses azur brodés de fleurs de lys or, des bas-de-chausses dont une jambe était du même azur brodé alors que l’autre était jaune d’or, un pourpoint doublé de soie – garni d’ailes de houce* avec des manches en barbes d’écrevisse – et de simples heuses* en daim dépourvues d’éperons, ce qui rappelait que Charles n’était pas un bon cavalier. Son costume se complétait d’un chaperon de velours azur dont les cornettes, nouées sur la nuque, permettaient à des cheveux longs d’en dépasser par touffes clairsemées. Il gardait précieusement posée sur son ventre sa main enflée dont on disait qu’elle était remplie de pus.
— Revoici donc ce fameux bourrel* dépourvu de cagoule et de sentiment, dit le Valois avec une certaine indifférence à l’intention de ses conseillers. De conscience aussi, ajouterais-je.
S’adressant à Louis, il poursuivit :
— Soyez le bienvenu, maître Baillehache. Je savais que le jour viendrait où j’allais pouvoir compter sur vous.
— Je suis à votre service, sire, dit Louis.
— Parfait. J’avais oublié combien vous étiez d’une taille démesurée. Dites-moi, comment se porte votre dame ?
— Bien.
— Ma prière contre les écrouelles a-t-elle fini par la soulager de quelque autre malaise dont elle ait pu souffrir depuis ?
— Euh…
— Comme vous le voyez, Baillehache, j’ai bonne mémoire.
— En effet, sire. Moi aussi.
— Que d’insolente audace, siffla la reine entre ses dents gâtées. Si elle s’abstint autant qu’elle le put de poser les yeux sur cet individu peu recommandable, elle ne put s’empêcher de remarquer ses prunelles indécentes qui étudiaient minutieusement la main malade du roi.
— En voilà un qui n’a pas froid aux yeux. Pour l’amour du ciel, Charles, qui est-ce ?
Au lieu de lui répondre, le roi continua de s’adresser à Louis comme si de rien n’était, ce qui eut au moins l’heur d’éviter de faire dévier vers elle son regard troublant :
— Je n’ai pas non plus oublié certaines choses que l’on racontait naguère à votre sujet. Or, il se trouve que mon beau-frère et vassal, Charles de Navarre, dont vous fûtes un ami personnel, m’a quelque peu mis dans l’embarras. Et puisque votre collègue, ce bon Gérard, n’est plus, j’ai cru bon faire appel à vous.
Pâle sous le velours bleu de ses habits, le visage de Charles ressemblait à un portrait inachevé. Mais soudain, son regard s’anima d’une lueur farouche, et il dit, d’un faux ton pensif :
— Je doute fort que mon beau-frère ait oublié l’homme à qui il avait promis un brillant avenir… peut-être même la fonction de chancelier, qui sait ? Enfin. Il a toujours eu la fâcheuse habitude de promettre beaucoup et de très peu donner. Mais lui aussi a bonne mémoire, et le moment est venu pour lui de vous savoir à l’œuvre sous mes ordres. Toutefois, la sagacité dont vous êtes pourvu vous fera comprendre que je ne serai pas en mesure de vous faire de fausses promesses en échange de votre travail. Je ne vous en ferai qu’une seule, une vraie.
— Ça va. Mes gages suffiront.
— Soit, mais je crains que vous ne m’ayez pas tout à fait compris. Ou peut-être faites-vous exprès de ne pas entendre. Permettez donc que je m’explique : tout manquement de votre part sera considéré comme une trahison et se soldera par un hébergement plus ou moins prolongé à
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