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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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disait-il, alors que sa monture, au cas où il était vu de loin, allait l’amble* entre les longues rangées de peupliers. C’étaient les mêmes peupliers, les mêmes champs dont les douces ondulations évoquaient la mer toute proche. La maison, elle aussi pareille à celle de son souvenir, était toujours tapie sur le faîte de son coteau. « Comment pourrait-il en être autrement ? Il n’y a pas dix ans que j’en suis parti. »
    Que de chemin parcouru durant cette période ! Peu après sa dernière rencontre avec Louis, lui, l’étranger, l’humble garçon d’écurie, était enfin parvenu, à force de patience et de travail acharné, à se tailler une place dans la cour même du sage roi grâce à ses talents d’artiste, de conteur et de musicien. Il eût dû y avoir là amplement de quoi satisfaire l’ambition de tout jeune homme féru de rêves. Pourtant, Sam n’était pas heureux. Lui qui ne manquait de rien n’arrivait pas à se débarrasser d’une persistante impression de vide. À la Cour, il ne faisait que servir des choses déjà toutes faites par d’autres, et ses auditeurs n’y voyaient que du feu. Il se sentait comme un conteur qui n’avait plus rien à dire, comme un musicien qui n’avait plus de voix ; car il lui manquait l’essentiel, la source même de son inspiration, sa raison de vivre.
    Lorsqu’il atteignit la cour du domaine, le cavalier eut la distincte impression d’avoir été le déclencheur d’un grand nombre de gestes furtifs, accomplis en hâte juste avant son arrivée, et dont il ne subsistait à présent plus rien. Hormis la volaille éparpillée, tout était trop calme, trop ordonné sous le ciel morne, mais sans pluie. Il eut le temps de descendre de sa monture et de mettre son cheval à l’attache avant que quelqu’un daignât venir se présenter à la porte pour l’accueillir. C’était Toinot.
    — Tiens, si ce n’est pas l’Escot*. Que nous vaut ce plaisir ? demanda-t-il, les mains sur les hanches, comme déjà prêt à l’empêcher de franchir le seuil.
    Sam s’avança, un maigre sourire aux lèvres.
    — Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Où est tout le monde ?
    — Quoi, qu’est-ce qui se passe ? Il ne se passe rien de spécial. Je me méprends ou c’est toi, l’envoyé du roi ?
    Sam gonfla fièrement la poitrine qu’il avait plus forte.
    — Tu ne te trompes pas, l’ami.
    — Par le sel de mon baptême, c’est qu’il est plus un gueux, notre garnement ! Bien joué.
    Toinot lui abattit sur l’épaule une main lourde comme un battoir, et toute trace de sourire s’effaça de son visage grossier.
    — Mais, sans rire, c’est en ville qu’il t’attend, le maître. Comme c’était écrit.
    — Je le sais, dit Sam en tentant de jeter un coup d’œil à l’intérieur de la maison par-dessus l’épaule de Toinot.
    L’homme se planta sur le seuil de façon à lui boucher davantage la vue et dit :
    — Y a que Margot, là-dedans. Les autres sont aux champs.
    — Et Jehanne ?
    — Elle est sortie.
    — Où ça ?
    — J’en sais rien.
    — Et le petit ?
    Toinot ne répondit pas. Sam se détourna à demi et soupira en baissant la tête.
    — Ouais. Je comprends.
    — C’est mieux comme ça, mon vieux. Tu te fais du mal pour rien.
    Le jeune homme releva la tête et parut sur le point de poser une question au domestique, mais il se ravisa. Ce fut Toinot qui dit :
    — Va trouver le maître à Caen. C’est ce que tu aurais dû faire dès le départ.
    — C’est vrai.
    Sam acquiesça et retourna vers son cheval. Tout autour de lui encore, il sentit les ombres des habitants prendre la fuite. Il ne fut pas étonné de ne pas s’être vu offrir un rafraîchissement comme c’était la coutume et, de toute façon, sa soif ne lui était plus rien. Il reprit la route.
    Plus il y pensait, plus il déduisait que Louis était le seul responsable de l’accueil glacial qu’il avait reçu à Hiscoutine. Le bourrel* avait dû leur ordonner d’agir ainsi s’il osait s’y montrer un jour. Il avait dû donner à Jehanne l’ordre d’aller se cacher à l’étage avec l’enfant. C’était aussi un ordre de sa part qui, une fois que Sam avait été aperçu au bas de la côte par l’un ou l’autre domestique ou par Jehanne elle-même, avait affecté tout le monde au ramassage de tout objet qui eût pu trahir la présence d’un enfant, son enfant, il en était sûr maintenant. À moins qu’il n’y eût en fait plus

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