Le salut du corbeau
sa lanterne sur un établi, près d’une caisse qui attendait. Sous le regard ravi de Jehanne, il en sortit un tout petit cheval de bois magnifiquement sculpté et peint. Suivirent un renard aux aguets, un lion, deux oiseaux qui avaient la taille d’un ongle et la femelle du renard roulée sur le flanc. Louis fit surgir de la boîte, une par une, une telle quantité de ces petites sculptures en bois que Jehanne cessa de les compter. Il n’y avait pas moins d’une trentaine de couples d’animaux, tous sculptés et peints avec une patience inouïe. Même les licornes et les manticores* y figuraient parmi quelques autres créatures légendaires. La jeune femme caressa les dos arrondis d’une paire de lapins serrés l’un contre l’autre et dont l’un avait les oreilles couchées le long de l’échine. Pour des raisons évidentes, Louis n’avait pu respecter l’échelle, mais il avait quand même pris soin de ne pas fabriquer les belettes aussi grosses que le bœuf.
— C’est bien ce que je pense, n’est-ce pas ? demanda Jehanne.
Au lieu de répondre, Louis lui montra un petit groupe de personnages humains. Il avait tenté de reproduire au meilleur de sa connaissance des habits sarrasins, et le résultat n’était pas dénué d’intérêt. L’un des personnages, un vieillard à la longue barbe, tenait précieusement un volatile blanc qui serrait une brindille verte dans son bec. Louis retira de la caisse le sac de toile qui avait contenu toutes les figurines et le mit de côté. Des deux mains, il souleva une véritable arche miniature surmontée de son cabanon où loger la famille de statuettes. Il désigna le flanc du navire, muni d’une porte ouvrant vers la quille aplatie. L’intérieur était assez spacieux pour contenir tous les animaux en vrac. Louis avait pratiqué de fines rainures tout le long de la coque afin d’imiter les planches jointes.
— J’ai fait ce jouet à Paris. Croyez-vous que cela va lui plaire ?
— Si cela va lui plaire ? Mais Louis, on ne peut pas appeler cela un jouet, c’est beaucoup trop beau ! C’est une œuvre d’art !
Il haussa humblement les épaules et dit :
— C’était pendant que je me morfondais à attendre. J’avais hâte de revenir.
Jehanne prit son mari dans ses bras.
— Moi aussi. Vous m’avez tellement manqué !
Elle se reprit et s’essuya les yeux du revers de la main, avant d’ajouter :
— Cela va beaucoup lui plaire, vous pouvez en être certain. L’histoire de Noé, c’est très bien choisi pour Adam. On dirait que vous avez toujours eu des enfants. J’ai hâte que le père Lionel voie ce cadeau. J’imagine d’avance ce qu’il va en dire en adoptant un air recueilli : « Est-ce parce que certains récits de l’Ancien Testament ressemblent tant à des fables ? » Et il va s’asseoir par terre pour jouer avec, lui aussi.
Louis émit l’un de ses petits rires secs.
— C’est bon.
L’arche autour de laquelle attendait toute une minuscule faune en bois put retourner dans son emballage afin d’y attendre le déluge.
Le couple s’en retourna main dans la main vers la maison d’où sortaient de joyeux éclats de voix. Ce fut Lionel qui les accueillit sur le seuil :
— Enfin, vous revoilà, mes enfants. Nous en étions à essayer ce jeu de cartes et cela fait déjà deux fois que je perds.
Le couple alla reprendre place à table pour y siroter un bolet d’hypocras* pendant que Lionel poursuivait sa tirade :
— C’est une véritable malédiction. Je crois que je vais essayer de persuader l’Église de condamner ces jeux de hasard. Non seulement Thierry a gagné une de mes meilleures plumes d’oie, mais en plus il ne sait même pas écrire.
— Je ne sais peut-être pas écrire, mais je saurai bien la marchander pour m’en avoir un bon prix.
— Honte à cet esprit mercantile.
— Eh quoi ! Sans lui, les hommes de lettres crèveraient de faim.
— Moi aussi, j’aime les lettres, dit Adam. Pourquoi Mère en a reçu une et pas moi ? C’est pas juste.
Louis eut un haussement de sourcils et regarda Jehanne, qui se hâta de préciser, avec une insouciance un peu trop forcée :
— Oh, ce n’était rien de bien important.
— Père, c’est pour moi, ça ? C’est quoi ? demanda Adam en brandissant un fruit sphérique qui lui était inconnu.
— Oui, c’est pour toi, dit-il en s’essuyant la bouche à la longière* que Margot avait sortie pour l’occasion. On appelle ça
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