Le salut du corbeau
trouvaille de dernière minute, Jehanne se trouva piégée. Elle était devenue incapable de maîtriser sa nervosité.
— Je ne l’ai plus, dit-elle.
— Alors, qui l’a ? Le père ?
Elle acquiesça à contrecœur, en espérant que ce mensonge n’allait pas mettre dans le pétrin le moine souvent trop spontané et qu’il allait songer à montrer à Louis, qui ne savait pas lire, une quelconque correspondance qui pouvait aussi bien faire l’affaire.
— D’accord. Je lui en parlerai plus tard, dit-il.
La nuit était tombée depuis plusieurs heures lorsque Louis vint rejoindre sa femme dans la chambre conjugale. Après avoir écarté délicatement les courtines, il s’assit au bord du lit. Le visage détendu de Jehanne était tourné vers lui. Elle dormait paisiblement. Il posa sa chandelle sur la table de nuit, puis se tourna à nouveau vers Jehanne qui n’avait pas bougé. Il se pencha vers elle et entreprit de retirer doucement l’oreiller sur lequel sa tête reposait. Elle entrouvrit les yeux, remua légèrement et lui offrit un sourire ensommeillé. Sa main droite émergea des couvertures pour se poser sur l’avant-bras de Louis qu’elle caressa. Elle s’étira un peu en soupirant. Toujours avec la même douceur, il tassa l’une de ses chemises propres mise en boule sous la nuque de la jeune femme. Elle ouvrit les yeux.
— Qu’êtes-vous en train de faire là ? demanda-t-elle d’une voix traînante sans cesser de lui sourire.
— Chut, répondit Louis.
De la main gauche, il lui caressa le dessus de la tête avant de s’assurer une prise discrète dans ses cheveux. Cela força Jehanne à garder la tête rejetée par en arrière.
— C’est très inconfortable, vous savez, dit-elle encore.
Il effleura la gorge offerte des phalanges pliées de son autre main. Jehanne fut déconcertée par cette caresse. C’était à la fois agréable et inquiétant. Louis acheva de la réveiller en lui rappelant, avec douceur :
— Jehanne. Votre fils a tantôt parlé d’une lettre que vous auriez reçue.
Elle cilla. Ce qu’elle avait appréhendé arrivait. Il n’y avait là aucun jeu innocent. C’était une menace, une invitation à coopérer, et Adam était « votre fils ». Il n’était plus le sien.
— Le père Lionel n’avait pas la lettre ? demanda-t-elle d’une voix mal assurée.
— Non. Il ignorait de quoi je voulais parler. L’un de vous deux m’a donc menti.
— Je ne mens pas.
— Alors, montrez-la-moi.
— Je ne peux pas.
Louis cessa les caresses. Il fit à Jehanne une chiquenaude, puis une autre, et une autre encore, toujours au même endroit sur sa gorge vulnérable, au niveau de la légère saillie du cartilage thyroïde. Jehanne fixa son mari d’un air d’abord interrogateur qui devint vite alarmé.
— Mais arrêtez ! Cela fait très mal !
— Pas si fort. Montrez-moi la lettre et j’arrêterai.
— Je ne l’ai plus.
Il s’assura une meilleure prise, et les chiquenaudes reprirent à une cadence très rapprochée. Il ne quittait pas sa femme des yeux tandis que l’ongle de son majeur frappait de façon répétitive en rendant un petit bruit creux. La peau rougissait à peine. Jehanne plia les genoux sous les couvertures, elle gémit, serra le poignet de Louis et finit par essayer de se tourner sur le flanc.
— Cessez de gigoter, ordonna Louis. Et ne me touchez pas.
Impuissante, soumise à la volonté de son mari sans qu’aucun lien n’eût à la retenir captive, Jehanne n’osa plus faire un geste. Elle se contraignit à garder les bras le long de son corps. Elle tenta en vain de déglutir. Les chiquenaudes incessantes lui faisaient maintenant l’effet de décharges électriques, et sa gorge y demeurait exposée d’une façon insupportable. Elle se mit à pleurer.
— S’il vous plaît, arrêtez… Louis…
— Il n’en tient qu’à vous, ma femme. Dites-moi ce que vous avez fait de cette lettre.
Le bourreau interrompit les chiquenaudes, mais ce ne fut pas pour laisser un répit à Jehanne : il déplaça la main vers le côté de son cou, en repoussa doucement quelques mèches folles, puis il entreprit de lui masser la gorge avec son gros pouce. Jehanne se mit à crier.
La jeune femme avait oublié comment il pouvait se montrer vicieux pour torturer sans aucun instrument, sans aucun moyen pour entraver sa victime. La souffrance qu’elle ressentait laissait à peine une trace superficielle sur sa peau. Sans savoir
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