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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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d’outremer.
    — Disons que c’est un peu ça, oui. Il faut que je m’en aille au plus vite, pendant que la fuite m’oblige à en trouver la force.
    Les broignes* grossièrement simulées des fusains bruirent tout bas. L’ami demanda :
    — Tu partiras donc sans elle ?
    — Qui ça, elle ?
    La voix du jeune homme était pleine de dépit. Il ajouta :
    — Je n’ai parlé à personne ici d’une « elle ».
    — Et alors ? Ne fais pas l’innocent, l’Escot*. Je veux bien croire que tu n’as rien dit, mais faut quand même pas me prendre pour le dernier des idiots. Je veux bien me faire sodomite s’il n’y a pas une femme là-dessous.
    — Laisse tomber. Oh, et puis zut. Puisque tu tiens tant à le savoir, oui, je pars seul. Non pas sans elle, mais sans eux.
    — Oh, merde, la poisse.
    — Comme tu dis.
    — Navré de t’avoir posé la question.
    Sans prévenir, les écailles ternies d’une cotte surgirent entre les fusains au moment précis où retentissait un cri :
    — À l’arme ! À l’arme !
    Mais il était déjà trop tard. Des hommes armés s’approchaient de toutes parts, vouges* brandis, épées au clair et dagues déjà bien en main. Toute résistance était inutile : le camp était pris en tenailles.

Chapitre XII
Le cœur du ménestrel
    Saint-Germain-des-Prés, début octobre 1378
    L’ Opus Dei, l’œuvre de Dieu, était l’office. Cet hommage incessant était une œuvre désintéressée faite pour Dieu seul, car, le plus souvent, il n’avait lieu qu’en présence de la seule communauté. À chaque heure canoniale, les chants d’une simplicité millénaire s’élevaient comme de beaux oiseaux à l’intérieur de l’immense coquille creuse de la nef dont on ne remarquait plus le faste à force de le côtoyer.
    Seul Lionel se délecta, en secret, de pouvoir joindre sa voix à celle de son fils. « Je n’arrive pas à me persuader que certains ordres aient volontairement renoncé à la belle apparence de lieux saints, pensait-il. Qu’on le veuille ou non, les belles choses réjouissent l’âme. C’est par elles que le message liturgique peut se manifester aux yeux du monde. Sans elles, tous les moines seraient aussi bien d’être muets comme je l’ai été, moi. »
    L’abbé Antoine, encore plus sec qu’avant, n’avait rien perdu de sa lucidité. À chacun des offices et aux réunions du chapitre, deux moines se chargeaient de le conduire à travers la nef dans un siège à brancards. Il lui restait tout juste suffisamment de forces dans les jambes pour présider aux offices. En dépit des taies blanchâtres qui givraient son regard, il continuait à puiser des paroles séculaires dans le livre ouvert devant lui sur un lutrin, grâce aux verres grossissants qu’il tenait devant son visage. Peut-être en récitait-il de grands passages par cœur, car un dimanche il avait omis un paragraphe et égaré le manuterge.
    Depuis le retour de Louis et de Lionel, il se plaisait encore plus qu’avant à s’extraire de sa réclusion pour se prélasser en leur compagnie dans le jardin, où la végétation mûrissante répandait un parfum légèrement sucré de céréales.
    Ce jour-là, Lionel s’était assis entre l’abbé et son fils, installés dans leur litière en position demi-assise. Une légère couverture de laine reposait sur leurs genoux. Le soleil y laissait une tiédeur bienfaisante.
    L’abbé dit à Louis :
    — Moi qui ne suis après tout qu’un faible vieillard, un être de chair, je ne puis m’empêcher d’être attristé à la vue de ta vigoureuse jeunesse, désormais à ma semblance* confinée au grabat.
    — J’ai quarante-cinq ans. Ce n’est pas si jeune, dit Louis.
    — Ça l’est pour quiconque s’affaisse sous le joug du grand âge, mon fils.
    — C’est inconcevable. L’homme en moi s’insurge, dit Lionel.
    L’abbé rit tout bas avec indulgence et dit :
    — Voilà qui est tout à fait typique des Ruest. J’ai depuis longtemps renoncé à combattre un tel orgueil. Peu importent les obstacles qu’il trouve devant lui, le ru va son chemin. Il creusera le roc durant des millénaires s’il le faut, mais il finira par passer là où il le veut. Que d’admirable entêtement il peut y avoir dans la puissance de l’eau ! Et vous portez tous deux son nom (88) .
    Se tournant vers Louis, il poursuivit :
    — J’ai la certitude que ce second grabat ne sera pas vu bien longtemps à l’intérieur de cette enceinte. Le

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