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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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solennel. De quoi s’agit-il ?
    — Demain matin, j’ai l’intention de partir avec Père pour Saint-Germain-des-Prés.
    — Qu… quoi ?
    Jehanne blêmit. Elle demanda :
    — Est-ce… pour prendre l’habit ?
    — Je ne le sais pas encore. C’est ce à quoi il me faut réfléchir là-bas, et ma convalescence m’en donne l’occasion. Mais ce n’est pas la seule raison de ce départ. Mon absence allégera votre tâche. Vous êtes épuisée et nous n’avons pas besoin de deux malades, surtout par les temps qui courent, vous êtes d’accord ?
    — Oui, bien sûr, puisque c’est ce que vous voulez. Mais n’est-il pas beaucoup trop tôt pour entreprendre un tel voyage ? Vous êtes à peine remis.
    — Père attellera la nouvelle pouliche d’Hubert. Nous mettrons une bâche à la charrette et tout ce qu’il faut dedans. Je pourrai m’y allonger confortablement.
    Jehanne frissonna à cette idée ; elle songea que ce véhicule avait souvent servi au transport de condamnés et de leurs dépouilles. Pourtant ce n’était pas là sa préoccupation immédiate :
    — Louis, si vous décidiez de prononcer vos vœux…
    — … vous seriez libre.
    — Oui, je sais. Mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Je vous aime.
    — Moi aussi. Là n’est pas la question.
    — C’est à Sam que vous pensez, n’est-ce pas ? À quoi bon y penser puisqu’il est parti.
    — Il reviendra. Il est toujours revenu.
    À l’aide de sa canne, Louis se leva en prenant appui de son autre main sur le plateau de la table. Jehanne s’approcha doucement et s’appuya contre lui. Ne pouvant lâcher ni la table ni sa canne, il baissa la tête pour lui poser un baiser sur le dessus de la tête. Elle caressa la joue du géant et dit :
    — Quand je pense que pendant tout ce temps il n’a eu aucune raison de s’en faire, mais qu’il s’en faisait quand même.
    — Eh oui, il avait tort. Ce n’est pas la première fois que ça lui arrive. Cependant, il avait raison sur un point : je ne suis pas un très bon mari.
    — Louis !
    — Quoi, c’est la vérité. Mais qu’importe. Il a un fils et il ne le sait pas. Pour cette raison et s’il ouvre enfin les yeux sur ce qu’il a fait, il pourrait être un mari dévoué. Moi, j’ai trouvé le père qui m’a manqué toute ma vie. Si j’entre dans les ordres, j’apprendrai à lire. On s’écrira. Ainsi, nous serons tous heureux, je vous l’assure, chacun à notre manière… Vous savez, je pourrai être heureux là-bas autant qu’ici. Adam et vous-même le serez davantage avec Aitken, même si c’est un fat. Vous ne serez plus femme et fils de bourrel*. Pensez-y un peu. Pensez à tout ce que cela représente.
    Jehanne fit un lent signe de dénégation.
    — Mais le Sam qui vous a fait cela n’est pas celui que j’ai aimé. Je ne suis plus sûre de vouloir le voir.
    — Assez curieusement, il m’est devenu plus facile à comprendre qu’avant. Je comprends ce malaise qu’il éprouve. Et, ce qui l’en sauvera, c’est peut-être la même chose qui m’a sauvé, moi.
    Il appuya son avant-bras contre la hanche de sa Jehanne en une étreinte tout juste ébauchée. Elle eut dans la voix un sanglot fâché.
    — On voit bien que vous avez parlé au père Lionel, vous ! Qu’entendez-vous au juste par là ?
    Il expliqua :
    — La plus grande partie de ma vie, je l’ai passée à haïr. Je n’arrive plus à me souvenir d’un seul jour de ma jeunesse qui n’ait pas été gâché par la haine. J’étais seul et affolé. Mais à présent, avec tout ce qui nous est arrivé, ce n’est plus pareil. Rien n’est plus comme avant. C’est ça qui me fait mal.
    — Je ne comprends pas.
    — J’ai mal parce que pour la première fois je crains de mourir et de vous perdre, vous et Adam. Vous me donnez enfin une raison de m’accrocher à la vie, d’y tenir non plus par esprit de vengeance, mais juste parce que c’est bon d’être là. Tout ça, c’est du nouveau pour moi.
    Jehanne se taisait. Entendre son mari parler de la sorte la mettait dans un état d’euphorie totalement incompatible avec la tristesse qui l’assaillait à la perspective d’une séparation éventuelle. Elle qui, l’instant d’avant, avait été prête à s’élever contre cette décision, et qui l’était sans doute encore, s’en abstint pourtant, par respect pour Louis qui poursuivit :
    — Mais en dépit de mes craintes et de la rancœur que j’éprouve encore envers

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