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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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c’est ça, être humain, je préférerais être un chien.
    Ce disant, il désignait Desdémone. Sam n’osa pas lui rétorquer qu’à son avis, il en était un. Il lui présenta le grand pichet qui était posé sur la table. Louis en vida le contenu sur la tête de sa victime et donna une secousse menaçante à la poire.
    — Non !
    Les voix de Sam et de Desdémone s’étaient entremêlées. Les lèvres de Louis se retroussèrent d’un côté en une sorte de demi sourire carnassier.
    — Ah, l’amour, ce que ça peut faire…
    Silence. Louis reprit les tenailles.
    — Une incisive, maintenant, pour embellir encore un peu ton sourire…
    — N-non… Ve fais pfayer, dit Desdémone dont les cheveux trempés, emprisonnés par la bride en fer, adhéraient comme du lierre grisâtre à ses joues au maquillage défait.
    — Eh bien, nous y voilà. Ce n’était pas si difficile, n’est-ce pas ?
    Il abandonna son ton bon enfant aussi vite qu’il l’avait adopté et demanda sévèrement :
    — Où est-il ?
    — Là… un frou vans ye flancher.
    — Merde, ce que tu peux mal articuler. Tu es bien une ivrognesse, toi. Un trou dans le plancher ? Là ?
    Il désigna du bout de son pied chaussé de cuir l’une des planches sur lesquelles Desdémone semblait poser son regard larmoyant. Elle fit un signe d’assentiment. Louis s’accroupit et essaya d’insérer ses ongles courts entre deux larges planches. Enfin, il parvint à soulever celle qui abritait une cache. Il y trouva un coffret en cuir clouté de bronze, une grosse bourse brodée avec des cheveux humains et un livre. Il se releva en soupesant les deux contenants. Il ouvrit le coffret. Il était plein de bijoux précieux.
    Il les mit de côté avant de retirer l’instrument de torture mouillé de sur la tête alourdie de Desdémone. Il récupéra aussi la poire. Ensuite, il défit les liens de la femme avant de reprendre le coffret et la bourse.
    — Bien. On a eu la main heureuse. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser tous les deux, je dois aller rembourser qui de droit.
    Il quitta la chambre, les laissant seuls, Sam et elle.
    Aussitôt qu’il fut parti, Desdémone se jeta aux pieds de Sam et fondit en larmes.
    — Ne le laisse plus me faire de mal, je t’en prie !
    Le soir même, Sam calligraphia une légende au-dessous de son illustration dans le codex* que Jehanne lui avait redonné avant son départ : « Oderint, dum metuant (20) . »
    — « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent », traduisit-il tout bas.
    *
    Depuis toujours, on percevait les vieillards comme étant détenteurs de sagesse. Les vieilles femmes, quant à elles, devenaient des sorcières. C’était comme ça. Le retour d’âge rendait la femme stérile, lui faisant perdre le seul rôle pour lequel on lui accordait une quelconque valeur ; la société se mettait donc à la percevoir comme un élément inutile, voire nuisible et possiblement malfaisant.
    Desdémone semblait avoir été ébranlée au-delà de toute possible rémission par sa rencontre avec Louis. À partir de ce jour-là, les habitants du quartier allaient l’apercevoir quelquefois, errant dans la cour avec un air absent, où, même au beau milieu du mois de février, elle allait arroser avec tendresse des fleurs qui n’y étaient pas.
    À son retour à l’heure du souper le jour même, comme promis, Louis avait laissé tomber sur la table, devant Jehanne, le livre pris à Desdémone. Bertine le lui avait donné. C’était un bestiaire splendidement ouvragé. La prostituée avait peut-être eu l’intention de le vendre, car les livres étaient des objets rares et précieux, inutiles dans une maison close où nul ne savait lire. Louis l’avait à son tour offert à Jehanne, sachant qu’elle, plus que quiconque, allait en profiter. Il avait regardé les autres en enlevant son floternel* et avait annoncé :
    — Aitken n’est pas revenu avec moi.
    C’était secrètement ce qu’il avait souhaité. Jehanne avait baissé les yeux et Blandine avait dit :
    — C’est drôle, on dirait que son ami l’a su avant nous. Il est parti sans nous dire où il allait et lui non plus n’est pas revenu.
    Comme s’il n’avait pas été interrompu, Louis avait poursuivi, un peu à regret :
    — Il a décidé de s’établir à Caen.
    Il s’était attablé et il n’en avait plus été question.

Chapitre II
Fatum
    (Fatalité)
    Hiscoutine, printemps 1371
    Le sentiment persistait

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