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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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La villageoise eut soudain l’impression ridicule que c’était lui qui avait fait trébucher le petit dans le but de l’éloigner.
    — Bon, on s’en va. Il est temps d’aller te coucher, toi. Tu deviens intenable. Bonne Saint-Jean à vous.
    Mère et enfant battirent en retraite sous l’œil navré de Jehanne.
    — C’est comme ça, dit Desdémone.
    — Que voulez-vous dire ? demanda Jehanne gentiment.
    — Hein ? Oh, rien. Rien du tout. Je vais faire un tour.
    La femme se leva et quitta l’auvent aussi, laissant Louis et Jehanne seuls. Cette dernière se rassit en soupirant tristement.
    — Elle a bien changé.
    — C’est là-dedans que ça ne va plus, dit Louis en se tapotant la tempe.
    Il revint s’asseoir auprès de sa femme.
    — Pourtant, des gens m’ont assuré qu’elle se comporte tout à fait normalement et qu’elle fait même l’apothicaire pour son ancienne maison.
    Louis haussa les épaules avec indifférence.
    — Possible.
    — C’est drôle, mais j’ai l’impression que c’est vous qui lui faites peur. Je me demande pourquoi.
    — Je fais peur à tout le monde, même si je ne fais rien.
    C’était indéniable, et Jehanne venait d’en avoir la preuve.
    Alors que le soleil couchant s’affairait à éparpiller ses braises, ils sirotèrent leur vin et grignotèrent en silence. Soudain, Jehanne posa son gobelet et prit la main de son mari, qui dut lui aussi délaisser son breuvage. Un peu étonné, il se laissa faire et se demanda ce qu’elle pouvait bien avoir derrière la tête. Son étonnement eût sans doute triplé s’il avait pu deviner qu’elle s’efforçait de recréer l’image d’un Louis enfant. Était-il possible que le gamin abstrait qu’elle imaginait eût pu vivre autrement que le petit Charles ? S’était-il lui aussi éraflé les genoux en tombant ? Avait-il joué à la balle et lancé des cailloux dans les mares trop paisibles ? Avait-il eu lui aussi le nez enchifrené et la bouche gommée de miel ? Quel avait été son jouet favori ? Lui était-il arrivé de pleurer après un cauchemar ?
    — Louis, s’il vous plaît, faites des enfantillages, dit Jehanne avec douceur.
    Elle passa la main emprisonnée sur sa joue. Il crut comprendre ce à quoi elle pensait et il en fut gêné. Sa main se hâta d’aller retrouver sa coupe. Jehanne soupira.
    Un gros dragon en drap verdâtre se dandina parmi les pique-niqueurs. Il s’arrêta à la hauteur de Louis pour laper ce qui restait de vin dans son gobelet avant de s’éloigner en grognant de satisfaction.
    — C’est pas juste. Moi aussi, j’en veux, dit une voix qui émanait du postérieur du dragon.
    — Il n’a pas craché le feu, remarqua un gamin.
    — Mon vin n’est quand même pas si fort, dit Louis.
    — Même les dragons vous craignent… Vous êtes mon preux, mais vous devriez quand même modérer un peu, dit Jehanne en riant.
    Ce disant, elle désignait le gobelet de Louis. La main rude se plaqua sur son épaule. Il s’approcha d’elle imperceptiblement. Sa légère ébriété, qu’il avait malgré tout pris soin de contrôler, avait adouci ses traits. Sa diction demeurée impeccable avait cependant ramassé quelque part un subtil accent traînant. Jehanne prit son mari par le bras. Il ne se déroba pas.
    — Seriez-vous l’ange qui protège ma vertu ? demanda-t-il d’un air grave.
    Jehanne, peu habituée à une pointe d’humour de sa part, sourit sans savoir quoi lui répondre.
    Sur la scène improvisée, une cornemuse gloussa avec nervosité au passage d’un légionnaire romain tourmenté par sa vessie que le trac rendait capricieuse. Le dragon avait perdu sa queue qui s’était coincée sans qu’il s’en rende compte dans les rayons d’une roue. Il passait benoîtement son chemin en affichant partiellement le caleçon en lin de l’un de ses propriétaires. Un gros tambour sautillait parmi les têtes échauffées. Partout, des centaines de petits groupes bavardaient et produisaient une rumeur assourdissante, ponctuée de rires et de notes musicales qui rendaient muettes les vagues de la mer toute proche.
    Une demi-douzaine de gamins d’environ dix ans passèrent derrière Louis et sa femme en se hâtant vers l’estrade.
    — Il n’osera pas monter, dit l’un.
    — Peuh ! même pas peur. C’est pas le vrai. Il est là, le vrai, dit un autre.
    Il pointait Louis d’un air bravache, ce qui fit dire à un troisième :
    — Quinze fraises que oui, il va

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