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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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même une bourrade.
    De son côté, Lionel le regarda tristement partir et songea : « Samuel est un inconscient. Il n’y en a que pour lui. » Il jeta un regard circulaire dans la foule brouillonne où il eût été impossible de retrouver quelqu’un à plus de vingt pas. Découragé, il se retourna vers son compagnon.
    — On ne s’entend pas. Qu’étais-je en train de dire ? Auriez-vous l’extrême obligeance de me rappeler où j’en étais, mon bon ami ?
    Quiconque avait eu l’idée d’organiser un concours de tir à l’arc au beau milieu de la nuit, alors que les trois quarts des participants étaient ivres, devait avoir un sens de l’humour bien particulier.
    Tandis que Jehanne cherchait des yeux où sa dernière flèche avait bien pu atterrir, un mouvement attira son attention. Elle aperçut la silhouette familière à l’orée du bois, de l’autre côté du grand champ de tir éclairé par des flambeaux fichés en terre et hérissé de flèches perdues. Il arborait fièrement son tartan et lui faisait de grands signes.
    — Grâce ! Je capitule ! Je rends les armes ! criait-il, simulant la panique.
    Jehanne abandonna son arc et, empêtrée dans ses jupes, traversa l’aire sablonneuse en courant.
    — Oh, Sam, mon tir était mauvais à ce point-là ? demanda-t-elle au jeune homme.
    — Atroce. Mais si les autres ont de bons réflexes, ils devraient avoir été capables de se pousser à temps. Comme dans les fables. Tu as mangé ?
    — Mais oui, un peu plus tôt, tout comme toi. L’aurais-tu déjà oublié ?
    — J’avoue que oui.
    Ils s’éloignèrent du champ.
    La nature attentive, avec son haleine à senteur de mer, laissait murmurer ses vagues sur la plage déserte qui berçait leurs pas. Ils s’étaient suffisamment éloignés pour que les rumeurs de la fête leur parvinssent grandement atténuées, car le vent capricieux du large en entraînait les fragments autre part avec les fumées aigres des feux dont ils n’apercevaient plus que les lueurs. Les étoiles se multipliaient comme un heureux présage et faisaient des clins d’œil complices à la lanterne solitaire qu’elles voyaient errer sur la grève. La plage se couvrait de varechs et de graviers mêlés de coquillages avant d’en changer pour un pavement rude, verdâtre et aussi glissant que du savon.
    — Nous ne devrions pas tant nous éloigner. Ce n’est pas convenable, fit remarquer Jehanne.
    — Au diable les convenances ! Ils sont tous saouls. Leurs convenances, ils les ont jetées au feu avec les fagots. Même le bourrel* n’y a vu que du feu, c’est le cas de le dire, avec sa haute messe*.
    — Quelle haute messe* ?
    — Non, rien, laisse tomber.
    — Mais nous avons bu, nous aussi, Sam.
    — Pas trop. Juste assez pour que nous, on n’oublie rien. Qu’a dit ton geôlier au sujet de Desdémone ?
    — Rien. Il n’en parle pas.
    — Le contraire m’aurait étonné.
    Elle rit. Il s’arrêta pour lever les yeux vers la voûte céleste. Le ciel, comme une patiente grand-mère, avait fouillé dans son panier de guenilles et avait couvert la lune d’un rideau de tulle lacéré sur lequel subsistaient les vestiges d’une splendide broderie argentée.
    — Toutes ces constellations… c’est étourdissant. Il y en a tellement qu’on a l’impression qu’elles devraient faire de la musique, dit Jehanne.
    Sam s’arrêta et lui prit la main.
    — Si je le pouvais, j’irais en cueillir pour en faire une parure de diamants digne de toi.
    Une brise étrangement chaude caressa le visage de la jeune femme. Son cœur s’affola et, ce soir-là, elle n’eut plus envie de lui intimer l’ordre de se calmer. Elle ralentit et déposa sa lanterne sur le sable.
    — Les étoiles sont beaucoup trop belles. Offre-moi plutôt un simple coquillage et il me plaira tout autant, puisque tu l’auras choisi pour moi.
    — Ou peut-être un rang de perles égaré par une sirène. Une créature comme toi venue d’un autre monde…
    — Oh ! Sam, quel incorrigible rêveur tu fais !
    Il passa les phalanges sur une joue délicieusement fraîche. Il prit ses mains dans les deux siennes et ils se regardèrent.
    — Les rêves, il n’y a que ça de vrai, dit-il. Tu étais avec moi en Espagne. En rêve. Ce serait pareil si j’allais jusqu’au bout du monde.
    Main dans la main ils firent face à la mer, qu’ils entendaient, mais ne voyaient pas. Sam dit encore :
    — Les vieux pêcheurs racontent que tout

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