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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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là-bas, vers l’ouest, le brouillard ne se dissipe jamais. Les eaux sont peuplées de créatures maléfiques. Il y en a qui ont pris des morues et des saumons presque aussi grands qu’un homme. Cela mène au bout du monde. Si on se hasarde trop loin, on tombe, on tombe, à tout jamais. Mais moi, je suis persuadé qu’il y a une île là-bas, quelque part, une île magnifique, et que tu y possèdes un palais en cristal dont tu caches honteusement l’existence à ton plus cher ami.
    — C’est vrai qu’il paraît qu’il y a une terre là-bas.
    — J’irai avec toi.
    — Louis m’en a parlé. Il tient cela d’un vieux Templier. L’Écossais soupira et baissa la tête. Il donna un coup de pied à un coquillage qui alla se perdre dans l’obscurité.
    — Oh ! Sam, je suis désolée.
    — Ce n’est pas grave. Je suppose qu’il était juste de me rappeler à l’ordre, encore une fois.
    — Pardonne-moi. Je ne sais plus rêver. J’ai bien peur d’en avoir perdu l’habitude.
    — Te souviens-tu de notre enfance, Jehanne ? Te souviens-tu de la simplicité de nos soucis et comment nous parvenions sans effort à croire en nos rêves ?
    Ils marchèrent pendant un moment en silence. La lanterne qu’avait ramassée Sam éclaira l’échine luisante de quelques galets ronds. Il dit :
    — J’irais vivre n’importe où avec toi. Avec ou sans rêves. Tu le sais, n’est-ce pas ?
    — Oui, Sam. Je le sais.
    — Dis-moi si tu préfères que je cesse de rêver et je le ferai. Pour toi.
    — Non. Un Sam qui ne rêve pas, ce n’est plus un Sam. Montre-moi à nouveau comment on rêve.
    — Tu es sûre que c’est ce que tu désires ?
    La jeune femme ne répondit pas. Ils s’éloignèrent un peu de la plage et entreprirent de grimper une butte sablonneuse que surmontaient des touffes d’herbes ligneuses. Ils ne voyaient plus les lueurs des feux. Peut-être n’en restait-il que des braises rougeoyantes.
    — J’ai aussi appris bien d’autres choses là-bas, dit Sam, sur ce que doit être un vrai chevalier.
    — Oh, mais je me souviens de cela ! Tu nous en as parlé l’hiver dernier avec ton ami Iain.
    Il sourit malicieusement. Tous deux s’assirent au milieu de la pente.
    — Je n’ai pas tout dit. Il y manque encore, je crois, le plus important. Vois-tu, un bon guerrier développe à la longue un sens très raffiné du combat rapproché…
    Il se glissa vers elle et reprit :
    — Cela exige une connaissance de son corps et de ses émotions. Des siens propres et de ceux de l’autre. Il faut être capable de prévoir ses propres réactions et celles de l’autre pour s’assurer de la victoire. Donner, recevoir l’amour, c’est pareil. C’est aussi un art.
    Troublée, Jehanne sentit le bras de son ami lui entourer les épaules.
    — Sam…
    — Nous, les hommes, il nous faut la guerre pour faire remonter en nous cet instinct que les femmes ont au naturel. Et dans cette guerre, multi inimici, magnus honor (30) . Car aimer est un art. Mieux que ça, c’est l’art suprême.
    Jehanne demanda soudain :
    — Et si les forêts de cette île des brumes étaient pleines de loups affamés ?
    — Je t’en ferais des manteaux.
    — Quand partons-nous ?
    — À l’instant, dit-il d’une voix enrouée. Allons nous reclure pour mieux savourer la connivence de la nuit.
    Ils achevèrent de gravir ensemble la pente sablonneuse. Sam veillait sur les pas vacillants de la jeune femme à l’aide de ses deux bras. Les deux renflements des petits seins charnus reposaient sur son avant-bras.
    — Comme deux colombes sur une même branche… qui me mèneront là « où les prés verdissent, où les oiseaux en leur latin doucement chantent au matin (31)  », récita-t-il en souriant.
    Sans trop savoir comment, ils se retrouvèrent dans un champ isolé au centre duquel murmurait un ruisseau complice. Ils s’installèrent tout près de lui et se turent pour la première fois de la veillée. Un cerf brama du côté de la bourgade endormie et, loin au-dessus d’eux, le cri d’une hulotte invisible lui répondit depuis un chêne qui agitait sa ramure d’une teinte rendue incertaine par la nuit. Ce fut pour eux un instant béni, car, désormais, le besoin d’avoir absolument quelque chose à dire ne se pressait plus aux portes de leur complicité. Une certaine paix de l’âme s’instaura en chacun d’eux, paix nécessaire pour permettre aux sentiments de reprendre leur place. Les émeraudes

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