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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Lionel jusqu’au tréfonds de l’âme.
    Lionel recula, mais il était déjà trop tard : Louis s’était levé à son tour. Il plaqua brutalement sa main sur la poitrine du moine, au niveau du cœur, à l’endroit précis où il savait le cilice niché. Lionel hurla de douleur et se courba en deux.
    — Ma femme ? Quelle femme ? grogna Louis avant de repousser l’aumônier loin de lui.
    Secoué, Lionel se précipita à la cuisine et se plongea la tête dans le seau d’eau afin de reprendre ses esprits.
    — Mon père ! s’exclama Margot qui était de retour.
    Elle trouva le bénédictin à genoux sur le carrelage, confus, tout dégoulinant, en larmes et une main rougie sur la poitrine. Il haleta, tentant en vain de donner à sa voix un ton léger :
    — Voyons, voyons, je me calme. Je crois que ce grog était beaucoup trop fort pour moi. Je n’arrive pas à comprendre comment j’ai bien pu me mettre dans un état pareil.
    Margot l’aida à se relever et lui remit un grand linge pour qu’il pût s’éponger et un autre plus petit à poser contre son sein. Elle dit tout bas, avec exaspération :
    — C’est lui qui est en train de vous rendre malade. Regardez comme il ose s’en prendre à vous ! Il vous travaille, je vous dis. Il nous travaille tous et il ne nous lâchera pas.
    — Le fait est que j’ai de plus en plus de mal à me convaincre qu’il ne faut pas lui en vouloir.
    — C’est un damné. Nous le savons depuis le tout début. Ils doivent tous lui ressembler, en enfer.
    Lionel se laissa choir sur un banc et pleura en silence. Le chiffon froissé tenu sur son giron ressemblait à une grosse rose.
    — Vous l’aimez, dit Margot, soudain radoucie.
    Il ne put que hocher la tête. La rose frémit dans sa main. Il dit :
    — Nous sommes plusieurs à l’aimer.
    — Assez pour en mourir.
    — C’est là notre drame. Car il ne le voit pas. Il ne le comprend pas. Son âme est loin. Très loin.
    — Est-ce un diable, mon père ?
    Lionel soupira et regarda Margot avec, dans le regard, une extrême lassitude en tous points semblable à celle qui affligeait Jehanne.
    — Je ne sais plus, dit-il faiblement.
    *
    Les représailles ne tardèrent pas. Un après-midi de la fin janvier, alors que Louis était absent et que Margot s’affairait à quatre pattes à récurer le plancher de la grande pièce avec une brosse, un moine dominicain barbu accompagné de trois gardes de l’Inquisition survinrent et demandèrent à visiter la chambre de Lionel. Tandis qu’Hubert contraignait Jehanne à demeurer au rez-de-chaussée avec lui et que Margot ne remarquait plus sa brosse qui avait méticuleusement repris sa tâche, les autres suivirent le moine à sa chambre où ils assistèrent, impuissants, au sac de la précieuse bibliothèque. Le moine inquisiteur prit les livres un à un et les ouvrit pour en lire quelques passages. Certains furent lancés à terre aux pieds du bénédictin effrayé. D’autres furent jetés dehors, par la fenêtre que l’un des gardes avait ouverte. Les deux autres gardes encadrèrent l’aumônier. Le dominicain s’approcha pour lui dire :
    — Père Lionel dit le Muet, la Sainte Inquisition a eu vent, par le biais de l’exécuteur de Caen, de vos malencontreuses errances mettant en péril manifeste la rédemption des fidèles qui sont sous votre responsabilité. Nous avons appris que vous avez en votre possession un certain nombre de livres à proscrire. J’ai le regret de vous informer qu’il vous faut dès maintenant nous accompagner à la prison de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés.
    — À la prison ?
    — Pour un court séjour seulement. Votre abbé s’est porté garant pour vous de la sincérité de votre repentir. J’ose croire qu’il ne s’est pas trompé. Après l’application de votre peine qui, remerciez-en le Tout-Puissant, sera légère, eu égard à votre âge ainsi qu’à votre grande piété, vous serez remis à la charge de votre abbaye.
    Il lui avait été défendu de faire ses adieux à ses ouailles et, en moins d’une demi-heure, on l’avait emmené avec ses livres.
    Ce fut à l’ombre des murs de Saint-Germain-des-Prés que Louis referma le pilori, celui-là même auquel les Pénitents l’avaient ligoté des années plus tôt, avec un claquement sur les poignets fins et la nuque du moine. Maître Gérard, le bourreau de Paris chez qui il avait été invité à souper la veille, n’avait pas vu d’objection à lui céder

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