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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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sa place lorsqu’il avait été informé que Lionel était l’aumônier de son domaine.
    — Mes nerfs ne sont plus ce qu’ils étaient, avait-il dit. Tu as sûrement entendu dire que j’ai flanché, ce jour où il m’a fallu tronçonner Jean Perret et Henri Matret comme du bois de foyer (44)  ?
    — Oui, j’ai su ça.
    — Non seulement ils étaient innocents, mais je suis certain que Robert le Coq (45) était derrière toute cette histoire. C’est lui qui a forcé la main à Etienne Marcel, le prévôt des marchands. Pour faire un exemple, tu comprends. Il n’y avait aucune autre raison d’exécuter ces deux types-là. Après tout, c’est bien lui qui a influencé Etienne Marcel. Tu te souviens de lui ?
    Sans donner à Louis le temps de répondre, il avait continué :
    — Ce Le Coq était un couard sans vergogne. Je suis bien content de savoir qu’il a fini par s’exiler à Calahorra où il a trépassé, cela fait trois ans de ça. Et il volait des biens au roi, en plus. Des chevaux.
    Il avait regardé en direction d’un crucifix accroché au mur.
    — Avec un moine, tu comprends, c’est un peu comme avec une femme : on veut pas trop leur faire ça. Encore heureux que t’aies pas à lui faire tâter du fouet.
    Le bourreau de Paris n’avait pu se douter que, si Lionel eût pu choisir entre le fouet et l’heure à subir au pilori, la tête et les mains immobilisées par les lunettes verrouillées, il eût sans contredit choisi le fouet. Devant une foule qui n’osait rien lui lancer, mais qui se moquait de lui parce qu’il pleurait, Louis alluma un feu. Il saisit un livre ouvert par l’une de ses pages.
    — Non, supplia Lionel, comme s’il s’apprêtait à voir périr un ami.
    Le livre se déchira et tomba. Louis resta avec une page enluminée dans la main qu’il jeta au feu avant de donner un coup de pied au livre qui alla l’y rejoindre. Pendant ce temps, un héraut nommait un à un les ouvrages mis au feu, leur auteur et la raison pour laquelle les livres devaient être détruits.
    — Les hérésies du moine Pelage (46) , dont l’odieux discours restreignait la très sainte doctrine d’Augustin affirmant que la rédemption de l’homme tient à la grâce divine.
    — Non, ce n’est pas cela du tout, protesta Lionel faiblement sous les huées de la foule qui n’avait pas tout compris.
    Louis se retourna vers lui, yeux écarquillés, surpris de constater que, même dans la fâcheuse posture où il se trouvait, ce moine bavard osait encore discuter.
    — Mais taisez-vous donc, marmonna-t-il.
    Lionel gémit. Il souffrait atrocement de laisser rouler dans sa tête les idées sublimes qui eussent défendu Pelage et son livre. « Ce n’est pas cela du tout », se dit-il avec un serrement des mâchoires obstiné qui n’était pas sans rappeler Louis. Il tenta de se donner du courage en se concentrant très fort sur ces idées. Cela allait peut-être détourner son attention de cette vision d’horreur à laquelle il devait faire face. « Pelage reconnaît à l’homme la capacité de choisir entre le bien et le mal par la seule force de sa volonté. La grâce vient après. Cela ne contredit pas Augustin, mais la vision des anciens, selon laquelle l’homme est depuis toujours plus ou moins livré à la merci de la fatalité contre laquelle il n’a aucun pouvoir. Mais avec ceci…» Avec difficulté à cause du pilori, il chercha Louis des yeux à travers la fumée et l’aperçut qui se tenait près du feu, dos à lui, avec son bâton. « Avec ceci, la fatalité ne peut exister que par l’homme lui-même, par qui elle peut également cesser d’exercer son pouvoir. C’est magistral et ils ne le voient pas. »
    Des années de travail se firent dévorer parmi les fagots. Les livres étaient des objets à la fois fragiles et robustes. Si leurs pages flambaient vivement et disparaissaient en quelques secondes à peine, un livre fermé pouvait se montrer incroyablement résistant au feu. Louis dut en ouvrir plusieurs avec son bâton muni d’un croc. Pendant un instant ils demeuraient intacts ; puis l’une des pages se soulevait sous l’effet de la chaleur, et le feu, tel un prédateur aux aguets, se hâtait d’y mordre.
    Après une heure, le brasier fut arrosé d’eau et la foule commença à se disperser. Louis se tourna vers Lionel et lui souleva le menton avec son croc. Il lui appliqua le picot sur la gorge.
    — Estimez-vous heureux de vous en tirer à si bon

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