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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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fait.
    Jehanne regarda son mari, les yeux brillants de larmes d’une tout autre nature que celles qui avaient été bien près de les précéder. C’était la première marque d’attention qu’il lui manifestait depuis la Noël. Il avait même pris soin d’endosser la huque* que Jehanne lui avait offerte le jour de leur mariage. Il demeura debout près d’elle.
    — Venez. Venez déjeuner avec moi, dit-elle en croquant l’un des coins croustillants et dorés du lard salé.
    Louis s’assit sur le rebord du lit. Jehanne l’obligea à se pencher pour l’enlacer fortement et, ce faisant, elle bouscula le plateau.
    — Attention à la tisane, dit-il en se redressant.
    — Je n’en reviens pas de voir à quel point vous savez lire en moi, en fin de compte. Vous savez ce qui me rend malade.
    — Oui, je le sais.
    — Pourtant j’ai bien essayé de ne pas en parler.
    Le morceau de viande resta oublié dans sa main. Louis dit :
    — Ça n’empêche pas qu’on y pense quand même.
    — Y avez-vous pensé autant que moi ? Je veux dire… à ce que vous comptez faire ?
    — Oui.
    Émue, Jehanne retint un sanglot. Elle ne voulait pas que ses paroles le fassent partir. L’espoir se mit à tressaillir en elle, comme un jumeau dont la présence se fût soudain révélée. Mais, même si le geste de Louis semblait indiquer un changement possible de dispositions à son égard, la jeune femme refusait de se bercer d’illusions. « Allons, cela ne veut probablement rien dire, songea-t-elle avec toute la force de persuasion dont elle se sentait capable. On m’a dit qu’il se comporte toujours gentiment avec les condamnés. »
    — Mangez pendant que c’est chaud, dit-il.
    — Louis, je…
    Il attendit, mais rien ne vint. Jehanne secoua la tête. Elle n’était plus certaine de vouloir avoir la réponse à sa question. Au lieu de cela, elle se remit à manger et dit :
    — Peu importe. Je m’inquiétais pour rien. J’aurais pourtant dû savoir que vous ne feriez aucun mal à mon enfant.
    Il baissa la tête. Il avait l’impression désagréable qu’il eût dû penser à dire cela avant elle.
    *
    Le plateau de Louis eut des répercussions inattendues. Du jour au lendemain, Jehanne s’était mise à manger pour deux. Même le saumon, mets commun apprêté de diverses manières, s’était mis à disparaître. Elle avait quitté le confinement de sa chambre et n’y retournait plus que pour dormir. Au grand plaisir de Margot, elle avait recommencé à s’intéresser à tout. Louis voyait la muscade disparaître comme par magie du précieux cabinet à épices. Jehanne sentait la muscade, elle chantait et parlait de printemps en s’efforçant de ne pas trop penser à l’absence de berceau dans la maison. Elle avait cessé d’avoir peur pour son enfant. Comme elle n’avait jamais craint pour elle-même, elle n’avait plus rien à perdre.
    Sans avertissement préalable, le père Lionel se présenta à la porte. Son retour fit le bonheur de toute la maisonnée, sauf de Louis, qui fit au moins preuve d’une certaine discrétion en n’y allant pas de l’un de ses commentaires typiques du genre : « Peut-être que j’aurais dû couper tout ce qui dépassait à l’avant du pilori ! » Il se contenta plutôt de s’absenter une semaine entière, ce qu’il n’avait pas fait depuis l’automne.
    — Louis se fait beaucoup de souci pour moi, expliqua Jehanne au moine alors qu’ils étaient seuls à la cuisine tous les deux. Il déteste lorsque je mange de la muscade moulue à même le pot.
    — Miséricorde ! s’exclama Lionel.
    Il se gratta un sourcil et son œil s’emplit de larmes, car il avait accroché un petit bouton avec son ongle.
    — Il a caché le pot, parce qu’il craint que je finisse par me brûler l’estomac.
    — Dieu merci, voilà une décision sensée.
    — Mais c’est plus fort que mon vouloir, j’ai envie d’en manger. Je n’arrive pas à m’ôter cela de la tête. Oh ! Le bébé me donne des coups de pied. C’est justement l’heure de sa dose de muscade. Venez m’aider à retrouver le pot. Louis est beaucoup trop futé pour moi.
    — Pas question que je contribue à un tel massacre. Puis-je te demander quelque chose ?
    — Vous savez bien que oui.
    — Louis t’en a-t-il parlé ?
    Jehanne se mit seule en quête du petit pot de muscade. Elle fouilla derrière toutes les étagères et sous toutes les écuelles renversées.
    — Quoi, du

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