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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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beaucoup de fil à retordre avec nos estimés confrères dominicains qui ont charge de la Sainte Inquisition.
    Lionel baissa humblement la tête.
    — Tous ces livres, que de richesses entre les mains d’un seul homme d’Église… Et pourtant, je persiste à voir en vous cette inclination de l’ordre mendiant qui ne cesse de chercher à simplifier et à vulgariser la sainteté avec un individualisme tendre.
    Sans transition, il demanda :
    — Ces gens-là, ils vous sont très attachés, n’est-ce pas ? Lionel fit un lent signe d’assentiment.
    — Tous, sauf un, dit Antoine dont les prunelles ennuagées n’avaient rien perdu de leur perspicacité.
    Lionel acquiesça de nouveau. Antoine tourna la tête vers le portrait de Louis qui avait été accroché au mur, à sa vue.
    — Je m’en souviens encore. Ce naturel sévère, cette totale absence de rire… Il eût sans doute fait un bien meilleur bénédictin que vous et moi, une fois débarrassé de sa brusquerie. J’appréciais beaucoup en lui sa propension à une intériorité silencieuse, sa simplicité dévote… Est-il encore comme cela ?
    Le père Lionel ne sut que répondre.
    — Plus le temps passe, mon père, plus vous vous affranchissez de votre ordre. Non, inutile d’essayer de vous défendre. Le but de ma remarque n’est pas de vous en faire reproche. J’estime au contraire que c’est là une nécessité. Votre foi en dépend. Vous la perdrez, mon père, si vous perdez votre foi en la nature humaine. Vous devez en quelque sorte vous affranchir, du moins partiellement, pour accomplir la tâche que le Seigneur attend de vous. Et pour y arriver, il vous faudra faire preuve d’un amour profondément et tragiquement humain. Comme le précise si bien Hadewich d’Anvers : « L’amour unifie tellement qu’on ne peut plus songer ni aux saints, ni aux hommes, ni au ciel, ni à la terre, ni aux anges, ni à soi-même, ni à Dieu, mais à ce seul amour qui nous embrase, toujours présent, toujours neuf (48)  ! » C’est cela que je tenais à vous dire. Maintenant, allez. Vous avez une visite au parloir.
    Le parloir était silencieux, comme en attente des mots importants qui devaient y être échangés. Derrière un grillage séparant le moine du laïc, un regard fiévreux scintilla sous le capuce relevé. Il se posa sur la longue barbe aux reflets cuivrés et refusa de monter jusqu’aux yeux, de peur d’y trouver ce qu’il ne voulait pas y voir.
    — Nicolas, dit Lionel tout bas.
    — Cher vieil ami. Veuillez me pardonner mes manières. J’ai depuis longtemps renoncé à les améliorer.
    — Il n’y a pas d’offense, après ce à quoi je vous ai contraint d’assister. Alors, vous l’avez vu ?
    — Oui. Il n’a pas beaucoup changé. C’est justement à ce propos que je suis venu vous voir.
    — Qu’ai-je encore fait ? demanda sombrement Lionel.
    — Rien. Rien du tout et c’est justement ce qui ne va pas.
    — Je ne comprends pas. Vous prendriez bien de quoi vous désaltérer ?
    Une grande main pâle surgit de la manche de la coule pour désigner un pichet d’hydromel qui avait été posé sur une tablette par le frère tourier. Flamel répondit :
    — Pour le moment, je n’en ressens pas le besoin, merci.
    — À quoi bon insister ? J’ai échoué. Non, il n’a guère changé. Rien ne semble avoir d’emprise sur ce genre d’homme et pourtant il n’est jamais vraiment satisfait.
    — Faut-il s’en faire, mon bon Lionel ? Connaissez-vous quelqu’un qui soit entièrement satisfait de sa vie ?
    — Non, bien sûr que non. Moi-même, je ne le suis pas… Je n’ai pas voulu dire ça.
    — Qu’importe, puisque vous le pensez !
    Un silence désagréable s’immisça entre eux, leur faisant ressentir avec davantage d’acuité la présence du grillage. Flamel reprit :
    — Vous savez de quoi je parle, père.
    — Oui, je sais.
    Sa voix était lasse, sans vie.
    — Alors, pourquoi ne pas l’avouer ? Est-ce une habitude acquise chez les Ruest de pelleter de la chaux sur ce qu’ils refusent de voir ? Cette méthode n’est bonne que pour les cimetières.
    — Je vous défends de me parler sur ce ton, dit le moine dont le visage se couvrait de plaques rouges. Qui vous prétendez-vous donc, pour oser venir me sermonner sur le pas de mon cloître ?
    — Je suis venu en ami, parce qu’on me l’a demandé.
    — Ce n’est pas moi qui vous l’ai demandé.
    — Vous êtes un homme doux, père Lionel,

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