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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Jehanne d’une voix faible.
    Des mèches ternes et poisseuses adhéraient à son front blême. Calée contre d’énormes oreillers, elle paraissait minuscule et fragile dans le grand lit.
    Quelqu’un éternua dans la pièce voisine. Jehanne tourna la tête vers la porte.
    — Louis est rentré ?
    Margot secoua la tête avec découragement.
    — Ça m’en a tout l’air. Nous passons notre temps à l’envoyer dehors, mais il trouve toujours quelque raison pour revenir se mettre dans nos jambes. Ah, ces futurs pères sont bien tous pareils : une vraie calamité.
    — C’est lui qui a cassé quelque chose quand j’ai crié tout à l’heure, n’est-ce pas ?
    — Il a échappé un plat, ma tourterelle. Cela n’est rien. N’y pensez plus.
    Jehanne afficha un air contrit.
    — Il n’échappe jamais rien.
    — N’y pensez plus, vous dis-je.
    — Je marcherai avec lui.
    — Ah non ! Ah ça, non ! Je ne ferai pas entrer ici cette nuisance qui ne fera que tourner autour de nous comme un gros taon. Et puis, ce n’est pas convenable.
    — Mais Louis est un peu physicien*, Margot. Ce n’est pas pareil. Il pourrait m’aider.
    — J’en doute, dans l’état où il est. Vous pouvez m’en croire.
    — S’il vous plaît…
    — Bon, bon, puisque vous y tenez vraiment…
    Elle sortit discrètement, sans trop ouvrir la porte. Thierry était en train de converser tout bas avec le père Lionel :
    — À votre place, je m’abstiendrais de lui servir ce fameux extrait de la Genèse qui dit que ces souffrances sont un juste châtiment hérité d’Ève pour avoir été la cause du péché originel. J’ai comme qui dirait l’impression que ce genre de sermon risquerait d’être fort mal accueilli.
    — Ouais. Parce qu’il y a tout de même une différence entre la Bible et la vraie vie, remarqua Toinot.
    Lionel répliqua :
    — Trop grande, hélas. La Genèse rend Ève responsable des souffrances de l’enfantement. En revanche, il est également écrit que les fautes humaines, toutes, sans exception, ont été rachetées par le sacrifice de Jésus. Et Jésus, lui, est né d’une femme pure, exempte de la tare héritée d’Ève…
    — Voilà que vous vous permettez de critiquer la Bible, à présent, intervint Margot.
    — Mais pas du tout, voyons. Je trouve simplement dommage que les Hébreux n’aient pas mieux compris les femmes. C’est pourtant la femme qui ensemence l’homme, et non l’inverse. Elle le remet au monde enfant, elle lui fait entrevoir la pureté de la Création telle qu’elle devrait être.
    — Comment va-t-il ? demanda l’accoucheuse en pointant du menton le fauteuil de Louis dont elle ne voyait que le dossier.
    Ni l’un ni l’autre ne trouva quoi que ce fût à lui répondre. Embarrassés, ils regardèrent ailleurs en se raclant la gorge. Margot s’avança jusqu’au fauteuil où Louis s’était de nouveau affalé. Il avait dans la main un gobelet oublié qui penchait dangereusement. Immobile, il fixait le vide sans savoir quoi faire de son grand corps d’homme, inutile en de pareilles circonstances. Pour la première fois, la gouvernante osa caresser les cheveux presque noirs du maître. Louis baissa la tête et, chose étrange, ne se déroba pas sous sa main comme un chat refusant de se laisser toucher. Elle dit doucement :
    — Elle va s’en tirer, ne vous en faites pas. Qu’y a-t-il dans ce gobelet ?
    — Une potion à l’ergot (54) .
    Il leva sur la gouvernante un regard suppliant.
    — C’est pour elle. Donne-la-lui, dit-il d’une voix rauque.
    Margot sut alors que Louis n’allait peut-être pas se montrer aussi encombrant qu’elle ne l’avait appréhendé. Elle regarda Lionel, en quête de sa permission. Ce dernier apaisa Louis d’un sourire et d’un signe d’assentiment.
    — Que cet acte de compassion soit un bienfait pour votre âme.
    — Vous pourrez la lui donner vous-même, maître, annonça Margot. Elle vous réclame.
    — Je… je ne peux pas.
    Lui, homme stérile qui donnait la mort, se sentait indigne de se trouver en présence d’un réceptacle de la vie.
    — Venez.
    Et elle prit le risque de glisser une main sous son bras. Il se laissa faire.
    Lionel regarda Margot qui escortait le géant jusqu’à la chambre. Thierry dit :
    — Eh bien, s’il se met dans un état pareil chaque fois que sa femme sera en gésine, il ne fera pas de vieux os.
    — C’est son premier et il n’est quand même plus si jeune,

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