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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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renchérit Toinot.
    — Parle pour toi, Papy.
    Lionel dit tout haut, comme pour lui-même :
    — Tout ce qui touche à la grossesse est pour lui quelque chose de sacré. Cela tient presque d’une sorte de mysticisme primitif, viscéral.
    Après avoir reçu une foule de recommandations qu’il dut oublier à l’instant, Louis fut introduit dans la chambre conjugale qui avait été jusque-là aussi hermétique qu’un cloître. Des fumigations lénifiantes lui montèrent aux narines. Il s’arrêta dans l’encadrement de la porte et n’osa plus avancer, les yeux rivés au visage rayonnant de son épouse. Hormis quelques plaques rouges qui étaient apparues sur ses joues et son nez, tout paraissait normal. Un drap léger la couvrait jusqu’au ventre, et ses reins étaient calés contre plusieurs carreaux* moelleux. On ne voyait nulle part les traces des tourments physiques auxquels il s’était attendu.
    — Louis, enfin !
    Elle lui tendit la main. Il s’avança lentement et hésita avant de s’asseoir au bord du lit. Jehanne s’agrippa fébrilement à son bras et manqua lui faire renverser sa potion.
    — Je suis là. Tenez. Ça va vous aider.
    Il porta le bol à ses lèvres. En toute confiance, elle but tout sans lui poser de questions. Sa main tremblante pétrissait toujours le poignet qu’il lui avait abandonné.
    — Merci, Louis, dit-elle une fois qu’il eut éloigné le bol.
    Il lui essuya maladroitement les lèvres à l’aide de son gros pouce. La jeune femme lui caressa la joue qu’il avait rugueuse et dure comme du bois. Les deux domestiques quittèrent discrètement la chambre.
    — On dirait… qu’il craint de naître, dit Jehanne.
    Elle prit la grosse patte de Louis et la posa sur son cœur. Il en sentit les palpitations rapides au creux de sa paume et mit un temps avant de se rendre compte que son propre cœur s’était mis à battre au même rythme. Il dit :
    — C’est trop difficile de venir au monde. Mais c’est encore pire d’essayer d’y rester.
    — Aidez-moi à me lever. Je vais marcher un peu.
    — Vous en êtes sûre ?
    — Oui. Tenez-moi bien.
    Elle se mit debout en prenant appui sur les épaules de son mari, qui s’était penché pour lui soutenir les hanches. Dès qu’elle fut sur pied, une contraction lui tordit les entrailles et elle poussa un cri. Elle commença à s’affaisser dans les bras de Louis qui, effrayé, la retint. Elle reprit son souffle en enlaçant son mari et en appuyant sa tête contre lui. Il pouvait sentir son haleine chaude et pressée contre sa poitrine. « Il ne faut pas que je cède, se dit-il. Elle m’a trahi. Ce n’est pas moi qui porte malheur. C’est elle qui a tout fait. » Et lui aussi s’essoufflait de la lutte qu’il menait depuis des mois contre lui-même.
    — Marchons, marchons, dit-elle, le ventre en bataille.
    Ils firent le tour du lit à quelques reprises et durent s’arrêter une fois. Après cette nouvelle contraction, Jehanne haleta :
    — Je crois bien que cette fois, ça s’en vient… Louis… M’aimez-vous au moins un peu ?
    Elle n’arrivait pas à expliquer un tel désarroi chez lui. Cela dépassait de loin l’anxiété typique du futur père, que Louis n’était d’ailleurs pas. Il ne devait pourtant pas l’aimer au point de se faire tant de souci pour elle.
    — Je vous en prie… gardez-moi, dit-elle.
    Sans répondre, il l’aida à se recoucher et parvint à se remettre sur pied malgré les baisers et les caresses folles, désespérées de sa femme. Il se détourna. Jehanne se calma et s’empressa de se corriger :
    — Pardonnez-moi. Je vous ai rappelé quelque chose qui vous déplaît.
    — N’en parlons plus.
    Il préférait ne pas penser à la trahison de sa femme en un pareil moment.
    Un violent serrement des entrailles tendit le corps tout entier de Jehanne, qui hurla et tendit la main vers lui. Elle se mit à souffler par saccades, comme Margot le lui avait enseigné. Louis s’approcha pour serrer la petite main moite, ne sachant trop lequel, de lui ou de Jehanne, avait le plus besoin du soutien de l’autre. La fixité de son regard donnait à penser qu’il était sur le point de se trouver mal.
    Aussitôt que sa femme le libéra, il se mit à arpenter nerveusement la chambre, les mains dans le dos. Étincelants, ses yeux refusaient de se poser quelque part. Il regardait à droite, puis à gauche avec une fébrilité inquiétante. Allait-il être victime d’un malaise ?

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