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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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jadis orné les manches et l’ourlet, mais sa couleur prune le laissa perplexe. Jehanne lui expliqua :
    — C’est celle qui a été tachée d’encre, vous vous souvenez ? Je l’ai teinte. Voyez, la tache ne paraît plus du tout. Cette couleur vous ira bien. Vous voudrez bien me la prêter, parfois ? Hein ? Et, ah oui, j’oubliais de vous dire : tout à l’heure, je suis allée faire un peu de rangement dans vos outils.
    Une ride triangulaire se dessina entre les sourcils froncés de Louis. Il empila les bûches près de l’âtre et revint sur ses pas pour aller boire un peu d’eau à même la louche du seau qui était posé dans l’appentis. Il ne revint pas. Jehanne échappa une petite carotte dans le beurrier. C’était le prétexte tout trouvé pour garnir sa crudité d’une grosse motte de beurre mou. Elle croqua la carotte et appela :
    — Cela ne vous dérange pas, au moins ? Hé ! ho ! Louis, m’entendez-vous ?
    — Je suis là, dit-il en revenant s’asseoir à table.
    Il remarqua les petites gouttes de transpiration qui perlaient au front de Jehanne. Margot s’avança prudemment et dit :
    — Ne faites pas de cas de la chemise, maître. Vous savez, pendant les derniers temps, il est normal pour les femmes d’avoir ce genre de petits caprices.
    — Ce n’est pas un caprice, dit Jehanne avec impatience.
    — Ça va, dit Louis.
    Margot répondit à Jehanne :
    — Non, bien sûr que non, ma tourterelle.
    Puis, à Louis :
    — Les sautes d’humeur aussi sont à prévoir.
    — Laisse-moi tranquille, Margot. Tu ne comprends rien à rien !
    La servante, compréhensive malgré sa maladresse, n’insista pas. Elle retourna à la cuisine. Jehanne se leva aussi vite qu’elle put et alla derrière Louis, qu’elle gratifia d’une claque derrière la tête.
    — Vous aussi, vous me portez sur les nerfs avec votre prévenance à deux faces. Des caprices ! Si au moins ça n’était que cela !
    Elle se fourra son reste de pain dans la bouche, se dandina jusqu’à la porte d’entrée et sortit avant de la claquer si fort qu’elle en resta à demi ouverte.
    Celles de la cuisine se rouvrirent doucement. Le visage poupin de Margot apparut brièvement dans l’embrasure. Louis tourna la tête vers elle. Il clignait des yeux, comme s’il ne réalisait pas trop ce qui venait de se passer. Elle se hâta de refermer. Blandine, qui se tenait juste derrière elle sur la pointe des pieds, chuchota :
    — Eh bien, au moins je saurai ce que je dois faire si l’envie me prend, à moi aussi, de lui en flanquer une bonne sans subir de riposte : je n’ai qu’à tomber enceinte !
    Les deux femmes pouffèrent de rire. Blandine, rougissante, pensait à Toinot.
    Louis décida que c’était un temps idéal pour descendre au village.
    Ses pieds nus foulaient l’herbe gorgée de pluie. Il pleuvait à boire debout. L’eau était tiède et subite comme une ondée de juillet. Et Jehanne, à nouveau heureuse, leva les bras sous les trombes d’eau irisées par un soleil d’or. En un instant, l’ample chemise prune de Louis et ses cheveux dénoués se plaquèrent contre sa peau nue. Elle ferma les yeux et leva son visage vers le ciel prodigue. La pluie ne fut pas perturbée par une déchirure dans un nuage trop hâtivement recousu. Le soleil entreprenait de choisir un emplacement pour son arc-en-ciel lorsqu’une voix derrière elle fit remarquer :
    — Habituellement, on doit attendre la naissance du bébé pour le baptiser.
    L’averse se transforma en or pur sous cet éclairage unique que détermine le soleil lorsqu’il se réconcilie avec les cumulus cendrés. Jehanne abaissa lentement les bras et se retourna. Elle récita :
    — « Alors le Seigneur Dieu, qui avait façonné de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux des cieux, les amena vers l’homme, pour voir comment il les appellerait (52) . » J’ai trouvé un nom.
    — Serait-ce Adam, par hasard ?
    Jehanne, radieuse, acquiesça.
    — Bien trouvé. Qu’as-tu choisi pour une fille ?
    — Rien, parce que ce sera un garçon. Mon premier homme. Soudain, la pluie qui s’était imperceptiblement adoucie cessa tout à fait. Lionel leva les yeux et dit simplement :
    — Je te crois.
    Jehanne sourit et cligna des yeux à cause d’une goutte insistante qui perlait tout au bout d’une mèche adhérant à la courbure de son nez. Elle adopta le ton de Margot et agita un index réprobateur :
    — « Mais,

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