Le Sang d’Aphrodite
père !
— L’un n’empêche pas l’autre. Mais comment ferai-je pour passer une journée entière sans te voir ? Encore un baiser ! la supplia Philippos. Ah, c’est si loin, demain !
— Oui, c’est loin… Et si mon père revenait entre-temps ? Pauvre Philippos ! Viens plutôt ce soir, après le souper. Je pourrai peut-être descendre dans le jardin… D’ici là, pense un peu à moi, veux-tu ?
Sur ces mots, elle poussa le garçon dans le couloir et lui ferma la porte au nez. Philippos dévala l’escalier et se glissa à l’extérieur par la sortie arrière. Il était sur un petit nuage. Nadia l’aimait, il en était certain ! Et il saurait la convaincre qu’ils devaient unir leurs destinées ! Il était tellement absorbé dans ses pensées qu’il ne remarqua pas tout de suite la frêle silhouette blottie contre la clôture du domaine. Un gamin en haillons s’avança vers lui.
— Titos ! Content de te voir, mon grand ! s’exclama Philippos en reconnaissant son minois encadré d’une tignasse noire. Que fais-tu ici ? Tu as faim, je parie !
L’enfant avala sa salive et acquiesça d’un signe de tête.
— Viens, je vais t’acheter quelque chose à manger.
Il passa un bras autour des épaules de Titos et l’entraîna en direction du marché. Quelques minutes plus tard, le petit vagabond dévorait une tourte au saumon assaisonnée d’une sauce épicée. En sortant de l’estaminet, Philippos acheta toutes sortes de pâtisseries, et ils allèrent s’installer dans l’angle d’un perron qui donnait sur la place. Quand l’enfant fut rassasié, il lui jeta un regard reconnaissant et s’essuya la bouche avec la manche de sa tunique usée.
— Grand merci, boyard, dit-il avec un soupir de ravissement.
— Appelle-moi Philippos. Tu te rappelleras ? Philippos fils d’Artem. Tu peux venir me voir à la résidence princière aussi souvent que tu veux. Il suffit que tu donnes mon nom à l’un des gardes.
Titos esquissa un signe de tête évasif. La perspective de s’expliquer avec les gardes lui inspirait un enthousiasme tout relatif.
— Je préfère t’attendre à côté de chez ton amie, déclara-t-il. À propos… Est-ce qu’elle t’a rendu le flacon qu’elle t’avait chipé l’autre jour ?
— Ça alors ! Comment le sais-tu ? demanda vivement Philippos. Tu l’as espionnée ! Tu n’as pas honte ?
— Je n’ai pas fait exprès ! se défendit l’enfant. J’étais déjà là quand une vieille est sortie de la maison en criant : « Nadia, Nadia ! » Alors, ton amie est arrivée du fond du jardin. Elle a renvoyé la vieille, puis elle a commencé à fouiller ton caftan. C’est alors que je l’ai vue sortir ce flacon de ta poche. Je l’ai reconnu tout de suite, parce que ma sœur en avait un exactement pareil.
Philippos sursauta, n’en croyant pas ses oreilles.
— Tu peux répéter ce que tu viens de dire ?
— Je l’ai reconnu à ses couleurs et à sa forme, expliqua l’enfant, surpris par la réaction de son nouvel ami. Ma sœur Photia avait le même. C’est son amoureux qui le lui avait offert. Même vide, il sentait drôlement bon ! Je l’ai gardé quelque temps après la mort de Photia.
Philippos écarquilla les yeux de stupeur. Saisissant l’enfant par les épaules, il le fixa d’un regard perçant.
— Ta sœur était mercière, pas vrai ?
Comme le gamin acquiesçait en silence, il poursuivit, le souffle court :
— Je parie qu’elle avait une amie ! Une servante qui travaillait dans une auberge. Elles ont été assassinées le même jour, n’est-ce pas ?
L’enfant confirma derechef. S’efforçant de réprimer son excitation, Philippos l’interrogea :
— Quand et comment est-ce arrivé ? Raconte-moi tout ce que tu sais, tu veux bien ?
Titos hocha la tête et se gratta la nuque.
— Photia a été tuée il y a deux étés. Moi, j’en avais neuf à l’époque. On n’a jamais su qui était le coupable, et je crois qu’on ne l’attrapera jamais… Ce soir-là, Photia devait voir son amoureux, c’est pourquoi j’ai dormi chez la vieille Daria, notre voisine. Le matin, en arrivant devant notre isba, j’ai aperçu un soldat près de la porte. Il y avait aussi quelques voisins qui chuchotaient entre eux. Le garde leur criait dessus et les empêchait d’entrer dans la maison. Moi, j’ai réussi à me glisser à l’intérieur. Le soldat m’a rattrapé et m’a poussé dehors, mais j’ai eu le
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