Le Sang d’Aphrodite
s’exclama Mitko.
— Ce n’est pas certain… Et puis, nous n’avons pas besoin de lui, répliqua Artem.
— Tu sais donc de qui il s’agit ? s’enquit le garçon en retenant son souffle.
— J’ai une petite idée là-dessus, éluda le droujinnik en se caressant le menton.
Devant le regard interrogateur des trois amis, il but une gorgée d’hydromel avant de poursuivre.
— Essayons de raisonner. C’est le Sang d’Aphrodite qui se trouve au cœur de cette affaire. Seul Klim en vend à Tchernigov ; le coupable se trouve donc forcément parmi ses clients ou amis. Sachant que certains boyards sont allés à Byzance avec lui, il est légitime de les placer en tête de notre liste de suspects. Ces jouvenceaux…
Le droujinnik s’interrompit en tiraillant sa moustache.
— Et alors, ces jouvenceaux… ? répéta Philippos.
Comme Artem continuait de se taire avec une mine soucieuse, Vassili prit la parole :
— Je crois deviner ce que pense le boyard. Notre homme n’est pas nécessairement un jeune gaillard ! D’après le chroniqueur, ces meurtres ont commencé il y a bien longtemps. Le coupable n’est peut-être pas si jeune que ça !
— Pimène peut confondre les choses, il se fiche pas mal de ce genre d’incidents, fit valoir Philippos. Pour moi, le détail le plus significatif, c’est que ces meurtres ont cessé à un moment donné – après l’assassinat des deux courtisanes, si ma mémoire est bonne. Puis, au bout d’un certain temps, ils ont repris, avec la mort de la mercière grecque et de son amie. Pourquoi notre homme s’était-il arrêté de tuer pendant cette période ?
— Ce sursis est moins important que le début de cette série de meurtres, souligna Artem. Il faut toujours remonter à l’origine du mal, à la première faute. Pour cerner notre homme – dans tous les sens de ce terme –, nous devrions connaître l’événement qui l’a fait basculer dans la violence. Quelle souffrance secrète a provoqué cette haine des femmes, cette soif de sang et de vengeance ? Si nous pouvions le découvrir, l’affaire serait résolue.
— Comment savoir ? De l’eau a coulé sous les ponts, c’est le moins qu’on puisse dire ! observa Mitko d’un ton sceptique. Ceux qui s’en souvenaient l’ont sûrement oublié depuis le temps. Cela dit, je parie que c’était une déception sentimentale !
— Un échec personnel, une frustration liée à sa carrière, hasarda Vassili.
— Il n’a pas pu épouser celle qu’il aimait, suggéra Philippos. Ou encore… sa bien-aimée est peut-être morte !
— Voilà bien ce qui s’appelle dessiner dans l’eau avec une fourche, commenta le droujinnik. Vous êtes très forts à ce genre d’art, mais cela ne nous mènera pas loin.
Ignorant ce commentaire ironique, Philippos reprit :
— Puisque nous évoquons le passé, les moindres détails ont leur importance. L’autre jour, j’ai rencontré au marché la sœur d’Igor, la mère supérieure du monastère de la Vraie Croix. J’avais l’aryballe sur moi ; elle a glissé de ma poche et roulé aux pieds de l’abbesse. Elle l’a regardée comme si elle avait aperçu un serpent venimeux ! C’était très bizarre comme réaction. Puis elle a fait comme si de rien n’était. Elle a dit qu’elle se souvenait de ce type de flacons grecs, car ils lui rappelaient sa jeunesse et les substances parfumées qu’elle utilisait à l’époque… ainsi que les « noirs péchés » qu’elle associait à cet élixir.
— La mère abbesse a dit ça ? murmura le droujinnik. Étrange…
— Tu crois que Théodora parlait de son frère ? s’enquit Philippos.
— C’est possible. Je me demande…
Artem fit mine de réfléchir. Il ne reprit point sa phrase ; c’est en vain que Philippos insista pour savoir quelle idée lui avait traversé l’esprit. Vexé, le garçon se leva et s’éloigna de la tonnelle. Cependant, la nuit étant tombée depuis longtemps, Artem déclara que leur réunion était terminée.
— Si Matveï refait surface, j’ose espérer que vous ne le perdrez plus de vue, dit-il à l’adresse des Varlets. Vous savez ce qui vous reste à faire en ce qui concerne cet aigrefin.
— On lui réservera l’accueil qu’il mérite, répondit Mitko. Un cachot humide et un interrogatoire musclé !
— Je souhaite seulement que nous ne le découvrions pas à l’état de cadavre, grinça le droujinnik.
Sur ces mots, il alla rejoindre
Weitere Kostenlose Bücher