Le Sang d’Aphrodite
Philippos. Après que les Varlets eurent pris congé, Artem étreignit le garçon.
— Viens, mon grand. Demain matin, nous avons une mission à accomplir. Nous allons rendre une visite amicale à l’apothicaire. Peut-être vais-je réussir cette fois à lui faire avouer la vérité au sujet de son complice mystérieux, celui qui l’a aidé à dérober la recette du Sang d’Aphrodite !
CHAPITRE XIX
Le lendemain matin, Artem et Philippos se levèrent dès l’aube. Après s’être restaurés à la va-vite aux cuisines, ils quittèrent la résidence. Ils se mêlèrent à la foule des passants qui se rendaient au marché puis, laissant la grand-rue derrière eux, ils se dirigèrent vers la porte est de la ville et le port. Philippos se taisait, perdu dans ses pensées. La douleur brûlante au fond de son cœur avait fait place à une lancination qui s’estompait un peu lorsqu’il réfléchissait à l’enquête. Quant à Artem, il espérait que le garçon avait surmonté son désespoir mais n’osait point le questionner. Il remarqua que Philippos avait ceint son épée et il craignit que celui-ci ne se livrât à des gestes extrêmes, criant à l’assassin ou défiant quelqu’un, alors que seuls le sang-froid et la patience pouvaient permettre de tendre un piège à un criminel aussi rusé et pervers.
En arrivant devant la palissade à claire-voie, Artem aperçut avec surprise le boyard Igor, vêtu d’un luxueux caftan en soie mordorée et coiffé d’une chapka bordée de zibeline. Appuyé sur la clôture, il était engagé dans une conversation animée avec Vesna qui se trouvait dans le jardin. Ses cheveux roux coiffés en torsade, elle penchait sa jolie tête en écoutant Igor, qui racontait une histoire censée être drôle car il s’esclaffait à intervalles réguliers.
Artem plissa les lèvres, dégoûté : il avait horreur des gens qui riaient de leurs propres plaisanteries ! Il monta les marches du perron puis se retourna pour détailler Igor avec sa mine réjouie et bouffie de suffisance. Diable ! Que Vesna pouvait-elle bien lui trouver ? Comme l’apothicaire ouvrait la porte, il se coula à l’intérieur afin d’éviter ce spectacle insupportable. Philippos entra sur ses talons, et Klim les conduisit dans la pièce principale. Tandis qu’ils s’installaient autour d’une table basse, le bossu frappa dans ses mains pour donner des ordres aux serviteurs.
— J’ignorais que ton épouse prenait un tel intérêt aux mondanités, ne put s’empêcher de remarquer Artem. Mais ce sont peut-être les propos du boyard Igor qui l’intéressent tout particulièrement.
— Oui, elle prise sa compagnie, confirma Klim avec un sourire en coin. La plupart des courtisans parlent pour ne rien dire, alors qu’Igor n’est pas qu’un beau parleur, c’est aussi un véritable lettré.
— J’en doute fort, bougonna le droujinnik. Méfie-toi, apothicaire, car tu encourages un penchant bien dangereux chez une femme !
— Ma foi, je ne peux pas interdire à Vesnouchka de trouver quelqu’un aimable… Et je peux encore moins l’empêcher de plaire ! observa Klim en sirotant son vin.
À cet instant, Vesna entra dans la pièce, suivie d’une servante qui portait un plateau chargé de boissons, de fruits frais et de friandises. Tandis que celle-ci disposait plats et carafes, la jeune femme salua Philippos puis s’inclina jusqu’à terre devant Artem.
— En quoi peut-on t’être utile, boyard ? s’enquit-elle en souriant.
— Nous sommes en quête de renseignements, répondit-il sans lui rendre son sourire, et, se tournant vers l’apothicaire : Je te demande formellement, vénérable Klim, de me montrer tes registres pour que je puisse consulter la liste de tes clients. Si tu refuses, tu risques d’être inculpé d’entrave à la justice.
Le bossu reposa sa coupe et écarta ses longs bras avec une expression de sincérité désarmante.
— Je n’en peux mais ! Mes livres de comptes ne comportent que dates et montants des recettes. Si tu veux des noms, il faudra que tu te contentes de ceux que je peux te citer de vive voix. Tu n’as qu’à les noter ; je vais t’apporter tout ce qu’il faut pour écrire.
Klim s’éclipsa puis, de retour dans la pièce, déplia devant Artem un pupitre portatif sur lequel il disposa un carré d’écorce vierge, une plume de roseau et un encrier. Enfin il reprit sa place en face du droujinnik et se tourna vers son
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