Le Sang d’Aphrodite
toison dorée qui couvrait sa poitrine et frissonna comme s’il avait froid.
— Mais qu’est-ce qu’elle raconte, cette maudite bougresse ? grogna-t-il, perplexe. Je n’y comprends goutte !
— Vraiment ? railla Philippos, indigné par cette nouvelle feinte. Aurais-tu oublié que toutes tes amantes ont péri de mort violente ? Pour ma part, je me moque de savoir à quel jeu tu joues, si tu es complètement fou ou seulement à demi, si tu entends des voix qui t’ordonnent de tuer, si tu es un mystique ou un misérable. Tu me répugnes trop, boyard, pour que je m’intéresse à toi. Par contre, je veux que tu m’éclaires sur certains détails pour qu’on puisse clore cette enquête.
Igor leva la main d’un geste conciliant.
— Soit, fils d’Artem : je te dois une explication. J’avoue que je t’ai menti. Je savais que l’assassin affectionnait le même élixir que moi ; je savais aussi qu’il avait occis celles que j’avais connues et aimées avant lui. Les malheureuses ! Comment avaient-elles pu se laisser séduire par ce monstre ? C’est à cause des horreurs qu’on racontait sur le meurtrier aux aromates que j’ai pris peur. À part mes amantes et ma sœur, personne ne connaissait ma passion pour les essences aromatiques aux vertus aphrodisiaques.
— En es-tu bien sûr ? l’interrompit Svetlana d’un ton sarcastique. Je crois que tu oublies quelqu’un.
— Je suppose que tu veux encore parler de ta précieuse personne ! rétorqua Igor, la mine exaspérée. Mais qu’est-ce que ça peut faire, si tu le savais ou pas ? Ce que je veux dire, c’est que les enquêteurs risquaient de mal interpréter, euh… mes petites fantaisies. Le moindre rapprochement entre mon innocente lubie et les désirs morbides du meurtrier pouvait m’être fatal. Je devais être prudent – même si tout cela n’était qu’une malheureuse coïncidence, le fruit du hasard.
Philippos eut le souffle coupé d’indignation. Il brandit son épée.
— Le hasard a bon dos ! tonna-t-il. Tu as les mêmes penchants que l’assassin, tu couches avec les mêmes femmes ; tous les deux, vous avez plein de manies en commun… Ça fait beaucoup de coïncidences, tu ne trouves pas, boyard ? Pour couronner le tout, les flacons que tu utilises sont identiques à ceux qu’on a retrouvés sur les lieux des crimes. Qu’en dis-tu ?
Igor fit une grimace de dédain.
— Comment veux-tu que je me rappelle ce que j’ai fait de toutes ces fioles vides ? Je les ai sans doute jetées, mais où ? Je crois que j’ai fini par donner un flacon de mon parfum favori à Anna, pour qu’on puisse s’en servir quand je venais la retrouver… Non, c’est à mon amie grecque que j’en ai laissé un. Pour le reste, je n’en ai aucun souvenir !
À nouveau troublé, Philippos scruta le visage de l’homme. Il ne parvenait pas à comprendre si Igor se moquait de lui ou s’il y avait une part de vérité dans ce qu’il disait.
— Tu veux que je te rafraîchisse la mémoire ? dit-il d’une voix glaciale. Pendant longtemps, tu abandonnais le flacon vide sur place sans t’en préoccuper. Puis, quand l’enquête a été confiée au boyard Artem, tu t’es rendu compte que cette négligence allait te coûter cher : l’aryballe devait tôt ou tard nous mener jusqu’à toi. Mais l’enquête aurait pu durer plusieurs lunes si tu n’avais pas essayé de mettre la main sur le pectoral d’Olga. Et tu n’as pas hésité à poignarder une jouvencelle innocente rien que pour récupérer le butin dont tu avais été dépouillé !
— Qu’est-ce que cette nouvelle accusation ? Je ne suis pas un voleur ! s’exclama Igor.
— C’est encore ta mémoire qui te joue des tours ? railla Philippos. Serait-ce un penchant que tu ne partages pas avec le meurtrier aux aromates ? Ignorais-tu qu’il volait ses amantes ? Il les couvre de bijoux, certes – mais il récupère le tout après les avoir trucidées ! Cette écœurante obsession a commencé bien avant le meurtre d’Olga, mais l’affaire a pris une dimension autrement plus importante avec le collier byzantin.
— Un détrousseur doublé d’un assassin ! jeta Svetlana entre ses dents. Comme tu es tombé bas !
Igor la foudroya d’un regard méprisant.
— C’est ridicule ! Cette accusation est tellement absurde que je ne prendrai pas la peine d’y répondre. À la différence de ce misérable qui dépouille les femmes de leurs bijoux, moi, je
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