Le Sang d’Aphrodite
catins, reprit-elle. La plupart avaient eu des amants avant toi ; tu n’étais pas le premier, loin de là… Au moins ai-je veillé à ce que tu sois le dernier !
Svetlana partit d’un éclat de rire, d’un horrible rire triomphant, aigu et sans joie. Glacé d’horreur, Philippos scruta son visage sans le reconnaître : sa bouche se tordait dans un rictus hideux ; ses yeux verts aux pupilles dilatées étincelaient d’une haine sauvage et meurtrière. Igor fit un effort surhumain pour se relever et tenta de cracher au visage de sa femme. Au même instant, elle lui enfonça l’épée en plein cœur. Igor se raidit, ses yeux se voilèrent. Son corps fut pris des dernières convulsions avant de s’affaisser mollement sur le sol.
— Et voilà ! À présent, cet ignoble porc ne pourra plus nier ses crimes ! s’exclama Svetlana, tandis qu’elle essuyait son arme sur les chausses d’Igor.
Elle sourit à Philippos qui se tenait immobile, submergé par un terrible sentiment d’impuissance et de désespoir. Elle passa devant lui pour se diriger vers le fond de la pièce. S’arrêtant près de Vesna, elle se pencha pour la dévisager avec attention. La jeune veuve semblait moins hébétée que tout à l’heure ; les effets de la drogue étaient en train de se dissiper. Blottie contre le mur, elle fixait Svetlana d’un air horrifié.
— Tu n’as plus rien à craindre, dame Vesna ! Ce satyre lubrique t’a droguée pour te faire subir ses caresses, mais c’est fini ! Tu n’auras pas à satisfaire ses désirs dénaturés.
— C’est toi qui es dénaturée, femme indigne ! rétorqua Vesna d’une voix faible mais pleine de dégoût. Tu as trahi les vertus les plus essentielles à notre sexe ! Tu me fais honte !
Soudain, elle lui sauta au collet, s’accrochant à sa robe. Comme Svetlana s’écartait d’un bond, Philippos entendit un bouton de sa guimpe sauter et rouler sur le sol. À nouveau, il sentit son sang se glacer. Vesna allait-elle gâcher sa seule chance de survivre ? L’attitude de Svetlana laissait espérer qu’elle avait l’intention d’épargner la veuve, cela faisait sans doute partie de son plan. Mais si Vesna attirait sur elle la fureur de la meurtrière, c’en était fait d’elle !
— Ne te fâche pas, dame Svetlana, s’empressa-t-il d’intervenir. Vesna est encore sous l’empire de ce poison qu’Igor lui a fait avaler.
— Ce n’est pas une raison pour me sauter à la gorge et abîmer ma robe. Voilà une drôle de façon de me remercier ! grogna celle-ci en lissant son haut col rebrodé de perles.
— Dès qu’elle aura recouvré ses esprits, elle sera à même d’apprécier tout ce que tu as fait. Ton coureur de mari n’a eu que ce qu’il méritait. Tu l’as embroché comme un malheureux poulet ! Je n’en reviens pas… Tu es vraiment rompue à l’art du combat à l’épée, c’est moi qui te le dis ! ajouta-t-il avec une feinte admiration.
Svetlana lui jeta un œil soupçonneux avant de hausser les épaules.
— Je n’ai aucun mérite, il n’était pas armé.
— Même s’il avait été armé jusqu’aux dents, tu l’aurais battu sans coup férir ! insista le garçon. J’avoue que, avant ce soir, je n’aurais pas cru qu’une femme puisse manier l’épée aussi bien. C’est un art et un métier d’homme ; par quel hasard en as-tu une telle maîtrise ?
Cette fois, Svetlana daigna sourire.
— J’ai fait mon apprentissage bien avant mon mariage, quand je vivais encore chez mon père. C’était une rude épée, mon père ! Il partageait son temps entre la guerre et la chasse, les deux seules occupations dignes d’un homme, un vrai. Il rêvait d’avoir un fils pour l’y initier, mais j’étais son enfant unique. Il m’a donc élevée comme un garçon.
Philippos approuva d’un signe de tête. Pendant que Svetlana parlait, il avait réussi, mine de rien, à s’approcher d’elle et guettait maintenant l’occasion de la désarmer. Il savait qu’il était inutile de tenter de gagner du temps. À supposer qu’Artem se fût lancé aux trousses d’Igor, il s’était sûrement égaré dans la forêt ; sinon, il serait déjà là depuis longtemps. Philippos ne pouvait compter que sur lui-même et risquer le tout pour le tout.
— C’est donc ton père qui t’a appris à manier l’épée ? s’enquit-il.
— Pas seulement, précisa Svetlana, le visage adouci par ces souvenirs. J’avais onze ans quand il a
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