Le Sang d’Aphrodite
en plissant les yeux d’un air narquois.
— De tes turpitudes ! Entre autres, elle sait l’usage que tu fais de cet aphrodisiaque.
— Rien d’étonnant, riposta Igor, puisque c’est moi qui lui en ai fait parvenir un flacon accompagné d’un mot. Un petit présent pour la taquiner en lui rappelant ce qu’elle aimait tant à goûter avant de prendre le voile… Oh, c’était une plaisanterie bien innocente, et elle me l’a pardonnée depuis. Ce n’est pas elle qui risque de m’accuser. Et je parie que ni toi ni ton père n’êtes capables de prouver quoi que ce soit !
— La plus accablante des preuves se trouve ici même, répliqua Philippos en désignant de son épée les vêtements d’Igor éparpillés sur le sol. Allez, avance ! Ramasse ton caftan ! Maintenant, tu vas vider tes poches l’une après l’autre. Tu vas tout poser par terre, et que chaque objet soit bien visible !
Igor obtempéra à contrecœur, disposant sur le sol un briquet de silex, quelques cure-dents, un peigne en os, un stylet, deux tablettes de cire et un grand mouchoir de soie.
— Plus vite ! ordonna le garçon, et, perdant patience : Tu vas sortir cette satanée aryballe, oui ou non ?
Igor tripotait le vêtement en silence. Son air perplexe fit place à une expression franchement amusée, il fixa Philippos d’un œil goguenard.
— Quelle aryballe ? De quoi parles-tu, l’ami ?
Lâchant un juron, Philippos bondit pour lui arracher des mains son caftan, qu’il secoua furieusement. En vain ! Était-ce possible ? C’était à n’y rien comprendre ! Lorsqu’il avait fait irruption dans la pièce, Igor était sur le point de parfumer Vesna. Par quel tour de passe-passe avait-il escamoté l’objet compromettant ?
— Qu’as-tu fait du flacon ? lança-t-il.
— J’ignore à quoi tu fais allusion, rétorqua Igor en haussant les épaules.
Le garçon le foudroya du regard, s’efforçant de dissimuler son désarroi. Et soudain, une voix calme se fit entendre près de l’entrée :
— Moi, je sais de quoi il s’agit, noble fils d’Artem !
Philippos sursauta. D’un même mouvement, Igor et lui se tournèrent vers la porte, scrutant avec étonnement la forme sombre qui venait de pénétrer dans la pièce. Enveloppée d’une longue cape noire, le visage masqué par un capuchon, la silhouette mystérieuse s’avança de quelques pas. Elle s’immobilisa à quelques coudées de Philippos et rabattit sa capuche.
Alors seulement il reconnut Svetlana !
CHAPITRE XXII
La jeune femme sourit et lui adressa un geste amical. Elle lui parut d’une beauté étrange et saisissante. Ses cheveux blonds étaient tirés en arrière et de petites boucles claires auréolaient son visage comme le nimbe doré des anges. La pâleur de son teint contrastait avec le feu sombre qui brillait dans ses yeux d’émeraude. Comme elle se tournait vers Igor, son sourire s’effaça et elle le fixa d’un regard dur et froid.
— Aurais-tu égaré ton précieux élixir, mon mari bien-aimé ? demanda-t-elle d’un ton moqueur. Quelle négligence ! Par chance, ton épouse dévouée pense à tout !
Sa main d’une blancheur translucide émergea d’entre les plis de sa cape. Ses doigts étaient crispés sur le petit récipient en terre cuite rouge que Philippos reconnut aussitôt.
— Le voilà, ton flacon ! Tu l’avais bien glissé dans ta poche, mais j’ai réussi à te le dérober au dernier moment. Tu étais sur le point de partir – paraît-il pour retrouver le collecteur d’impôts. Eh bien, as-tu avalé ta langue ?
Igor était devenu cramoisi et demeurait silencieux. Elle poursuivit :
— En vérité, ce fut un jeu d’enfant ! Juste avant que tu sortes, je t’ai demandé de me serrer dans tes bras. Tu t’es exécuté – de mauvaise grâce, il est vrai, car tu étais pressé de rejoindre la belle Vesna. Cet instant m’a suffi pour subtiliser la fiole.
— Admirable ! grinça Igor. Je ne te connaissais pas ce talent. Il ferait pâlir d’envie les tire-laine les plus habiles ! Mais comment as-tu su que je devais retrouver… ?
— Mon pauvre ami, tu m’as toujours sous-estimée. Quand vas-tu enfin ouvrir les yeux ? Je n’ignore rien de tes aventures, présentes ou passées. Je connais par cœur la liste de tes amantes : la blonde Marfa, la superbe et glaciale Olga, la sémillante Anna… pour ne mentionner que les plus récentes.
— J’aurais dû m’en douter ! cracha Igor,
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