Le Sang d’Aphrodite
seule dans ces parages sinistres !
Nadia eut un sourire espiègle.
— Et qui te dit que j’y suis allée seule ?
Philippos éprouva un pincement au cœur et s’efforça de dissimuler son trouble.
— Ce soir, aucun de tes admirateurs ne voudra s’y aventurer, avec ou sans toi, observa-t-il d’un ton acide. On s’amuse bien trop en ville ! Moi aussi, je vais y aller. Je ne vais pas passer la nuit ici !
Nadia contempla en silence le jardin et la lueur argentée qui flottait sur les cimes des arbres.
— Et moi, je reste claquemurée dans ce maudit térem, murmura-t-elle. C’est bien ma chance !
Le garçon perdit son masque d’indifférence. Il dégaina son poignard et le fit tournoyer, sa lame effilée étincelant à la lumière de la lune.
— Regarde-moi ! Elle est là, ta chance ! Moi, Philippos fils d’Artem, je veillerai sur dame Nadia. Que les sorciers, les monstres, les ivrognes et autres grossiers personnages prennent garde !
— Et si on nous reconnaît ? Tu ne te soucies plus de ma réputation ? s’enquit Nadia en faisant la moue.
— Si tu as bravé les esprits malfaisants de la colline, comment peux-tu craindre les commérages ? rétorqua Philippos en rengainant son arme. Je voulais t’enlever… mais tant pis pour toi !
Nadia se redressa fièrement.
— Ce n’est pas toi qui m’enlèves, mais moi qui m’évade, rétorqua-t-elle. Va m’attendre dans la rue, j’arrive !
Nullement vexé, Philippos fila vers le portail et se glissa à l’extérieur. Quelques minutes plus tard, Nadia le rejoignit. Elle s’arrêta devant lui et pirouetta sur ses talons pour qu’il puisse admirer sa tenue. Vêtue d’une sobre sarafane bleue, légèrement rehaussée de broderies, elle avait caché sa chevelure sous une coiffe à l’ancienne : le front ceint d’un mince anneau d’argent, un long voile lui recouvrant la nuque et le dos. Dédaignée par les dames de la Cour, cette jolie coiffure n’était plus portée que par les femmes de condition modeste.
— Tu es toujours aussi belle et pourtant méconnaissable ! s’exclama Philippos, ébloui.
— Pour l’amour du ciel, tais-toi ! chuchota Nadia. Attends qu’on s’éloigne un peu !
Philippos acquiesça avec empressement. Il prit la main de la jeune fille et la belle ne la lui retira pas. Au premier tournant, ils débouchèrent sur la rue principale. Çà et là, une torche fixée au mur éclairait les enseignes suspendues à l’entrée des boutiques et les façades des isbas. Ils croisèrent quelques couples d’amoureux et un groupe de fêtards dont les braillements brisaient le silence. Voyant que personne ne leur accordait la moindre attention, ils se détendirent tous les deux.
— Tu es aussi astucieuse que Vassilissa la Magicienne ! remarqua Philippos avec admiration. Comment as-tu réussi à improviser ce déguisement ?
— J’ai plus d’un tour dans mon sac ! répliqua Nadia avec un sourire en coin. Je me sers de cette tenue quand je veux me promener en toute liberté. Par exemple, pour aller escalader la colline noire… Tu me crois maintenant, mon petit pigeon ?
Ne trouvant rien à répondre, Philippos serra plus fort la main de la coquette. Ils se faufilèrent dans la grand-rue où se croisaient des dizaines de promeneurs munis de flambeaux. D’autres badauds se pressaient autour de musiciens et de comédiens en costumes bariolés qui soufflaient dans leurs pipeaux et faisaient des cabrioles.
— Tu vois que je n’ai rien exagéré ! s’exclama Philippos. Attention, ne te laisse pas emporter par la foule !
Ils quittèrent la grand-rue pour éviter la cohue et empruntèrent une ruelle tortueuse bordée de débits de boissons. Philippos avait soif et se demanda s’il aurait le cran d’entrer dans un des estaminets en compagnie de Nadia. Il interrogea la jeune fille, qui leva vers lui un regard apeuré. Ce fut assez pour le décider.
— Ne crains rien, je suis là, murmura-t-il, entraînant sa compagne intimidée à l’intérieur de la salle.
Éclairée par des chandelles de suif, la pièce comportait plusieurs tables entourées de tonneaux renversés qui servaient de sièges. Philippos conduisit Nadia dans un coin où ils purent s’asseoir. Les clients – moujiks, artisans, colporteurs – n’en étaient pas à leur premier gobelet d’eau-de-vie. Ils s’interpellaient bruyamment avec de grands gestes, échangeant plaisanteries et bordées de jurons.
— Ce n’est pas
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