Le Sang d’Aphrodite
élégance.
— C’est curieux ! dit Nadia à mi-voix. En vérité, il ressemble à… quelqu’un que je connais. Un homme charmant, aux goûts raffinés…
— Diable ! On ne peut faire un pas sans tomber sur un de tes soupirants. Celui-ci n’empeste pas l’eau-de-vie, c’est déjà ça !
Philippos se tut. Le parfum de l’inconnu éveillait en lui des sensations étranges. Il se sentait comme envoûté, à tel point qu’il faillit lui emboîter le pas. Il le chercha du regard, mais l’homme s’était déjà fondu dans la foule.
— Viens, on va voir les saltimbanques ! dit-il à Nadia.
Ils se frayèrent un chemin jusqu’aux tréteaux et restèrent quelque temps à regarder les comédiens qui jouaient une farce. Puis ils se laissèrent porter par la foule de promeneurs, bavardant et grignotant les friandises achetées à un vendeur ambulant. Ils suivirent un montreur d’ours, avant d’aller voir un pugilat disputé par des gaillards aux poings aussi énormes et lourds qu’une masse d’armes. Nadia voulut rejoindre les jeunes filles qui papillonnaient autour d’un marchand de pacotille, et Philippos put lui offrir deux peignes assortis en os et argent.
Enfin, la fatigue eut raison de leur excitation. Ils empruntèrent la ruelle qui menait vers l’un des quartiers résidentiels les plus aisés de la capitale. Le silence qui y régnait faisait paraître irréelles les rumeurs lointaines de la fête. Des deux côtés de la rue, au-dessus des palissades, on voyait la cime des grands arbres, les tourelles et les térems des maisons qui se découpaient sur le fond de ciel miroitant. Ils marchaient en conversant à mi-voix quand, soudain, Nadia s’arrêta près d’un portail richement décoré et désigna une fenêtre éclairée au premier étage de la demeure.
— C’est incroyable ! La moitié de la ville fait la fête, l’autre moitié dort, mais le boyard Boris passe tout son temps plongé dans ses chers manuscrits ! Il étudie les écrits des Grecs anciens simplement par plaisir – tu te rends compte ? On dit que Vladimir a l’intention de le nommer Garde des Livres, mais ce n’est pas encore sûr.
— Ce qui est certain, c’est que ce maudit érudit est un autre de tes galants ! répliqua Philippos en riant. Tout à l’heure, j’ai dû admirer les beaux yeux d’un ivrogne et me laisser séduire par un courtisan parfumé. Maintenant, c’est le tour de je ne sais quel singe savant !
— Tu ne parlerais point ainsi si tu connaissais Boris ! Son savoir est si grand qu’il pourrait éclipser tous ses rivaux, et pourtant, il est modeste et réservé, sauvage même.
— Ne me dis pas qu’il vit en ermite !
— Un peu, si. Il ne prise pas les fêtes, mais il vient parfois me voir à la maison. Il y a quelque chose en lui qui m’intrigue terriblement. Boris est plein de retenue et de mystère.
— Il n’y a pas pire eau… Tu connais la suite ! persifla Philippos.
Nadia protesta avec énergie.
— Bêtises ! Autrefois, Boris était d’une humeur affable et enjouée, il sortait souvent en compagnie de sa sœur qu’il adorait. Mais depuis qu’il vit seul, il a beaucoup changé.
— Que s’est-il passé ? Sa sœur s’est mariée et maintenant il se sent délaissé ? avança Philippos en ricanant.
— Tu n’es donc pas au courant ? La sœur de Boris, Anna, a été assassinée il y a quelques lunes.
Philippos se troubla.
— Excuse-moi, je l’ignorais. Comment est-ce arrivé ?
— On l’a tuée en plein jour, alors qu’elle se reposait dans son jardin. Je crois que c’est Boris qui l’a trouvée égorgée, baignant dans son sang.
— A-t-on attrapé son meurtrier ?
Nadia secoua tristement la tête.
— Il paraît que c’est un fou qui a fait ça. Un vagabond ou un serf en fuite. J’ai entendu dire qu’il a dépouillé Anna de ses bijoux. Tu comprends, Boris évite d’aborder ce sujet.
— La ville est un endroit dangereux, elle attire toutes sortes de malfaiteurs et de pervers. Viens, je vais te raccompagner ! proposa Philippos.
Ils se remirent en marche, chacun plongé dans ses pensées. En rejoignant la demeure de Nadia, ils constatèrent que le portail n’était toujours pas fermé ; des éclats de voix avinées leur parvenaient de la salle de réception.
— Pars tout de suite, commanda Nadia d’un ton sans réplique. Si tu entres, tu risques de tomber nez à nez avec un domestique.
Philippos n’insista pas. Il se
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