Le Sang d’Aphrodite
rapprocha de la jeune fille, déposa un baiser léger sur la mèche ondulée qui sortait de sa coiffe et s’éloigna rapidement en direction du palais.
Il regagna la résidence comme il en était sorti, par la porte arrière de la grille de clôture. En contournant le parc, il leva les yeux pour consulter les étoiles. Diable ! Son escapade avait duré plus longtemps qu’il avait escompté ! Demain, il lui faudrait inventer une explication plausible à l’intention d’Artem… Un sourire espiègle aux lèvres, le garçon pénétra dans leur petit pavillon, ôta ses bottes et gravit l’escalier sur la pointe des pieds. Dans sa chambre, il se déshabilla et grimpa sur le grand coffre qui lui servait de lit. Deux minutes plus tard, il dormait à poings fermés.
Le quartier aisé que Philippos et Nadia avaient traversé sur le chemin du retour leur avait paru désert et silencieux. Ils n’avaient pas remarqué une forme sombre tapie entre les piliers d’un portail en bois sculpté, à une trentaine de coudées de l’endroit où ils s’étaient arrêtés pour bavarder.
L’homme était arrivé quelques instants avant eux. Persuadé qu’il ne rencontrerait pas âme qui vive, il avançait sans se presser, réfléchissant au plan audacieux qu’il s’apprêtait à mettre à exécution. C’est alors que les deux tourtereaux avaient fait leur apparition, l’obligeant à se réfugier près de cette élégante entrée. Il avait rongé son frein pendant que Nadia – il l’avait tout de suite identifiée à sa voix – et son nouvel amoureux gazouillaient sans se décider à partir. Il n’osait même pas défaire le col de sa cape. Un geste imprudent risquait de trahir sa présence, et alors… Non ! Quitte à suer à grosses gouttes, mieux valait patienter.
Lorsque le couple se fut suffisamment éloigné, l’homme émergea enfin de sa cachette. Il s’épongea les tempes et le cou avec son mouchoir avant de reprendre son chemin. Quelques instants plus tard, il s’arrêta devant l’entrée de la propriété du boyard Edrik et de sa fille Olga. On pouvait la reconnaître grâce à l’image d’un bateau varègue qui ornait le portail éclairé par une torche. L’inconnu s’empressa d’éteindre celle-ci, escalada la haute palissade en madriers de chêne et atterrit dans le jardin. Il se releva et contempla un instant le disque argenté de la lune. Il lui lança un clin d’œil complice : cette nuit, il n’avait pas besoin d’être guidé par elle car les lieux lui étaient familiers. Il emprunta un sentier qui débouchait dans l’allée bordée de grands arbres et la longea d’un pas déterminé.
C’était le moment idéal pour exécuter son dessein ! Il connaissait les habitudes d’Olga sur le bout du doigt. Par une nuit douce et claire comme celle-ci, la belle préférait aller flâner dans le jardin au lieu de dormir dans la touffeur du térem. Naturellement, son père ignorait ces promenades pendant lesquelles sa fille se rendait à son refuge préféré, une élégante tonnelle dissimulée au fond du parc. Celle-ci se dressait au milieu d’une clairière entourée d’une épaisse végétation. Ceinte d’une balustrade en bois ouvragé, la charmille baignait dans la lumière de la lune. C’est ici qu’Olga passait des heures à rêvasser, étendue sur un banc garni de coussins.
Le visiteur nocturne ricana. À quoi pouvait bien rêver une oie blanche comme Olga ? Sa jolie petite tête était toujours farcie de chimères. C’est à cause d’une de ses absurdes lubies que, depuis quelque temps, Olga lui battait froid. Mais il avait décidé de ne plus supporter ses foucades. Oh, il saurait mater cette arrogante ! À présent, il était dans un état d’extrême excitation. Il avait la sensation de grandir, d’être soulevé par une étrange ivresse. Il sentait le désir monter en lui, en même temps qu’une bouffée de violence irrépressible l’envahissait et troublait ses pensées.
— Eh oui, ma poupée jolie, murmura-t-il d’une voix rauque. Je sais ce que je veux, et tu finiras bien par te plier à ma volonté !…
… Pourtant, lorsque l’intrus eut recouvré ses esprits un peu plus tard, il n’était même pas capable de se tenir debout. Combien de temps était-il resté avec Olga ? Qu’avait-il fait au juste ? Il n’en avait aucun souvenir, sa mémoire ressemblait à un parchemin soigneusement gratté. Sa seule certitude, c’était qu’à un moment
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