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Le Sang d’Aphrodite

Le Sang d’Aphrodite

Titel: Le Sang d’Aphrodite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elena Arseneva
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donné il avait été submergé par ce malaise inexplicable. Il s’était alors précipité hors de la tonnelle, vers les taillis qui bordaient la clairière, pour se laisser tomber à genoux et vomir tripes et boyaux…
    Réprimant un accès de nausée, l’homme se redressa avec peine. Il avait les jambes molles et la tête vide. Ses mains étaient rouges de sang et tremblaient violemment. Ô Christ miséricordieux ! Il arrêterait de boire, il en faisait le serment – si seulement il pouvait se rappeler quoi que ce soit ! Il fit un effort surhumain pour se ressaisir, et sa torpeur commença de se dissiper. Lorsqu’il avait pénétré sous la tonnelle, se souvint-il, Olga s’y trouvait déjà, ainsi qu’il l’avait prévu. Et ensuite ? Mystère. Voilà où il en était !
    Appuyé contre un tronc d’arbre, il resta quelques instants les yeux rivés sur la tonnelle. Il sentit sa respiration se calmer, ses muscles se détendre. Alors il eut un accès de colère contre lui-même. Par le Diable, était-il donc une femmelette, une de ces créatures chétives à l’estomac fragile ? Comment avait-il pu succomber à cette faiblesse ? Par chance, personne n’avait été témoin de sa honte ! Il se passa la main sur le visage pour chasser les images accablantes qui assaillaient son esprit. Puis il jeta un coup d’œil alentour. Tout paraissait calme et paisible au clair de lune.
    Soudain, il crut apercevoir une tache blême au milieu des arbustes. Un visage le fixait à travers le feuillage, la bouche tordue dans un rictus hideux. L’intrus promena un regard affolé autour de lui : d’autres monstres ricanants tendaient vers lui leurs bras noueux et semblaient crier :
    — Au meurtre ! À l’assassin !
    L’homme retomba à genoux en faisant de grands signes de croix. Il se frotta frénétiquement les yeux avant de scruter à nouveau les ténèbres. Les visages grimaçants avaient disparu. Il n’avait aucune raison de céder à la panique ! Un médecin ne lui avait-il pas dit que, s’il continuait à boire plus que de raison, il verrait des serpents et des monstres en plein jour ? Il avait donc sûrement abusé de ce vin de Chypre qu’il affectionnait tant.
    Cette réflexion lui redonna du cœur au ventre. Il contempla avec dégoût ses mains ensanglantées, s’accroupit et s’efforça de les essuyer sur l’herbe humide de rosée. Les taches de sang résistaient, mais il finit par en venir à bout. Maintenant, il fallait qu’il retourne sous la tonnelle.
    Les rayons de la lune passaient entre le toit et la balustrade, éclairant la scène d’une lueur blafarde. Il se força à observer le cadavre. Olga s’était effondrée en avant et gisait face contre terre. Elle baignait littéralement dans son sang. Sa chevelure blonde lui dissimulait le cou, mais l’homme savait qu’elle avait la gorge tranchée. Il avait de nouveau mal au cœur, sans doute à cause de ce parfum qui flottait dans l’air. Étrange ! Il lui arrivait de trouver cette senteur agréable, mais en ce moment elle lui montait à la tête et lui brouillait les sens. Il parvint à maîtriser son malaise et promena son regard sur le corps d’Olga.
    — Quel gâchis ! marmonna-t-il, dépité. Cette poupée était une vraie beauté. Comment les choses en sont-elles arrivées là ?
    Il étouffa un juron et se rappela à l’ordre. Au lieu de se triturer l’esprit en pure perte, il ferait mieux d’agir. Il devait entreprendre quelque chose qui servirait ses propres intérêts.
    C’est alors qu’il songea au fabuleux collier d’Olga. Il ne l’avait vu qu’une seule fois, à l’occasion d’une fête où il avait été convié avec d’autres jeunes gens. Le souffle coupé, il avait alors admiré ce chef-d’œuvre d’orfèvrerie byzantine : aussi large qu’un pectoral, le collier en forme de demi-lune couvrait la gorge de la jeune fille, s’étalant de la naissance de son cou jusqu’au bord de son décolleté. Sertis dans une monture en or filigrané, une vingtaine de diamants de la plus belle eau voisinaient avec autant de saphirs, et la flamme pure des uns mettait en valeur l’éclat sombre des autres. Il avait été tellement impressionné par ce joyau que son image était restée empreinte en lui.
    Or ce soir justement, Olga avait mis le collier avant de se rendre à sa tonnelle préférée. S’agissait-il d’un simple caprice ? Ou bien avait-elle obéi à une sorte de prémonition, se préparant ainsi à

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