Le Sang d’Aphrodite
bouffée de colère. La fureur l’envahit peu à peu, faisant briller ses prunelles d’un éclat sombre.
— Je n’y suis pour rien, moi ! lança-t-il, comme s’il pouvait apercevoir celle à qui il s’adressait. Je suis le seul à avoir fait des efforts, le seul à avoir essayé de résister à la tentation !
L’Enfer… On commence à le vivre ici-bas. Comment se conserver pur de toute souillure quand on vient au monde avec un sang bouillant de sensualité ?
Il savait que c’était de famille, ce trait de tempérament. Mais chez les femmes, avec leur penchant inné pour le péché, il se transformait en une tare incontrôlable.
— Et moi qui me rongeais de honte ! marmonna-t-il en se tordant les mains. Moi qui passais des nuits blanches en souffrant pour toi, Mère ! J’espérais encore qu’un sentiment de repentir vienne laver tes souillures. Mais toi, tu t’en souciais comme d’une guigne. Tu me riais au nez ! Et c’était pareil avec Anna. Ah, les filles d’Ève ! Elles ont ce goût pervers de la luxure dès leur naissance. Inutile de les raisonner, elles n’en font qu’à leur tête. Même si elles risquent de payer leurs débordements de leur vie. Et de gâcher celle des autres. Regardez-moi, toutes les deux ! s’écria-t-il, les yeux fermés, le visage levé au ciel. Quel gâchis ! Si je ne trouve toujours pas la paix, c’est votre faute ! Vous n’êtes que des chiennes en chaleur, la mère, la fille, les autres… toutes autant que vous êtes !
Boris se tut, s’efforçant de se maîtriser. Même quand il donnait libre cours à ses émotions, il savait vite recouvrer le contrôle de ses nerfs, et il en était fier. Cette fois, il lui fallut toute sa volonté pour chasser les noires pensées qui le hantaient et, surtout, pour se débarrasser de ce terrible sentiment de culpabilité qui venait parfois s’insinuer dans son âme.
Il s’exhorta à la patience et au calme. Il lui faudrait redoubler de prudence et veiller à ce qu’il dirait désormais à cet enquêteur. Artem n’était guère plus malin que ses collègues, mais il était insidieux et sournois. Or Boris devait préserver pour lui-même et imposer aux autres les images pures et rayonnantes qu’il avait gardées du passé. La Vérité dormait au fond de son âme. Rares étaient les moments où il la regardait en face, comme il venait de le faire. Et il empêcherait quiconque de la révéler au grand jour. Malheur à celui ou à celle qui tenterait de la dévoiler !
CHAPITRE X
Philippos accompagna Artem jusqu’à la résidence princière et s’apprêtait à faire demi-tour quand le droujinnik le prit fermement par le bras pour l’entraîner vers le palais.
— Où allons-nous ? s’enquit le garçon qui le suivit à contrecœur.
— Tu vois bien : au Dépôt des Livres, répondit le droujinnik tandis qu’ils montaient le large escalier qui menait au premier étage.
— J’ai encore des choses à faire en ville. Il faut que je parte ! protesta Philippos.
— Tout à l’heure, répondit Artem avec un air mystérieux. D’abord, je veux que tu rencontres un érudit fameux, un lettré que le prince lui-même honore de son estime.
— De qui s’agit-il ?
— Du meilleur chroniqueur employé par Vladimir. Le vénérable Pimène connaît la bibliothèque comme sa poche et il saura te guider dans le choix de tes lectures.
Philippos regimba devant la lourde porte cloutée de fer.
— Je n’en ai pas besoin ! Le Garde des Livres me laisse aller et venir à ma guise. Je me débrouille très bien tout seul.
Artem claqua de la langue, la mine sceptique.
— Il y a ici plus de trois mille ouvrages, et tu prétends pouvoir t’orienter dans cet océan de livres ? Crois-moi, tu ne manqueras pas d’apprécier les conseils du savant Pimène !
Le droujinnik poussa le battant et se dirigea vers un adolescent vêtu de la tunique blanche des scribes, assis sur un tabouret près de l’entrée. On ne voyait que sa tignasse couleur paille et ses joues rondes : tête penchée, il écrivait quelque chose avec un stylet sur une tablette de cire posée sur ses genoux.
— Voici le brave Nestor, l’assistant de Pimène, dit Artem.
Le gamin bondit sur ses pieds. Posant tablette et stylet sur son siège, il s’inclina pour saluer les deux visiteurs. Un large sourire éclaira sa frimousse parsemée de taches de son.
— Boyard Artem, je vais annoncer à mon maître…
— Ce n’est pas la
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