Le Sang d’Aphrodite
d’expliquer à Philippos :
— Hier au soir, j’ai présenté nos amis à mon fidèle Timofeï, l’ancien scribe que j’ai rencontré aux Archives. Ils ont pu profiter de son aide pour travailler sur notre enquête. Au fait, vos recherches ont-elles donné quelque chose ?
— Et comment ! jubila Mitko. Nous avançons à grands pas !
Oubliant la présence de Pimène, Artem et Philippos pressèrent les Varlets de questions.
— Te souviens-tu, boyard, de ma première visite aux Archives ? commença Vassili. J’ai alors découvert la mention consignée il y a un an par le surveillant d’un quartier nord de la ville. Il s’agissait d’une jeune fille pauvre, Oulita, fille d’Oufim, qui avait été violentée et égorgée. On avait retrouvé son corps dans une impasse sordide, à quelques ruelles de son isba… Eh bien, ton vieil archiviste a déniché quelques pièces relatives à cette affaire ! Entre autres, la déposition du père de la victime. C’est un ivrogne notoire qui prétendait que sa fille avait mal tourné.
— Le plus important, ce n’est pas ça, intervint Mitko à mi-voix, la mine sinistre. Tout porte à croire que cette malheureuse a été mise à mort de la même façon monstrueuse que la fille d’Edrik !
— Par le Christ, tu ne sauras donc jamais tenir ta langue ! s’exclama Vassili.
— Ma foi, tu allais le dire…
— Erreur : j’allais le taire. Mais avec toi, autant le crier à son de trompe par tous les carrefours !
— Cessez de vous chamailler ! leur intima Artem. Vassili, explique-toi !
Abaissant ses paupières obliques, celui-ci reprit son expression impénétrable.
— Le père d’Oulita est un potier ignorant. Un scribe du Tribunal a noté son récit mot à mot, et j’ai recopié cette phrase : « Dieu a voulu punir ma fille pour avoir été un instrument de péché et non de procréation. C’est pour ça qu’elle a été massacrée de la façon la plus infamante qui soit. » Du coup, Mitko et moi, nous avons pensé au meurtre d’Olga. Quant aux autres dépositions, la plupart des voisins parlent d’une accorte jouvencelle aux mœurs plutôt légères…
— À l’instar de toutes les filles d’Ève ! intervint soudain le vieux chroniqueur. Ces créatures sont source de corruption. Pourquoi s’étonner si d’aucuns sont tentés de purifier le monde en les éliminant ?
Stupéfaits, les quatre amis considérèrent Pimène en silence. Artem remarqua que ses yeux de myope au regard vague brillaient maintenant d’un étrange éclat fiévreux.
— De qui parles-tu ? s’enquit le droujinnik, mal à l’aise.
— Des tueurs de femmes, répondit le chroniqueur sans se troubler. Il y en a toujours eu, à toutes les époques. Ils croient sincèrement pouvoir lutter contre le charme néfaste de ces sorcières.
— Mais enfin, ces criminels ont l’esprit malade, ce sont des fous dangereux ! lança Artem.
— La gent féminine n’a-t-elle pas le don de rendre les hommes fous ? Elles affolent nos sens par l’attrait de leur tendre chair blanche, elles nous grisent de luxure grâce à toutes sortes de malices et maléfices. Elles ne sont pas encore nubiles qu’elles connaissent déjà l’usage des aphrodisiaques ! Puisque tu cherches à te renseigner sur le passé, boyard, écoute : je me rappelle les bruits qui couraient à propos d’un enragé qui haïssait les femmes. Il violait et torturait ses victimes avant de les assassiner. C’était il y a environ cinq étés… ou dix ? Oui, ça doit remonter au tout début du règne du prince Oleg… Pourquoi me regardes-tu ainsi, boyard ? Tu crois peut-être que ma mémoire me joue des tours ?
Pimène émit un gloussement.
— Détrompe-toi ! Je ne vois pas les choses de la même façon que vous autres droujinniks, mais tout ce que j’ai observé reste fidèlement gravé dans mon souvenir. Comme le monde vous paraît grand chaque fois que le soleil se lève ! Mais comme il est petit sous l’œil immobile de l’Histoire ! Moi, chroniqueur, je vois le temps opérer à une vaste échelle, qui n’est pas celle de l’homme. Les calamités d’une vie privée n’influent point sur le cours des événements majeurs. Il m’est donc impossible de me laisser distraire par les malheurs de mes semblables, créatures insignifiantes aux yeux de ceux qui écrivent l’Histoire. Me suis-je fait comprendre, honorable Artem ?
Le boyard esquissa un geste
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