Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Sang d’Aphrodite

Le Sang d’Aphrodite

Titel: Le Sang d’Aphrodite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elena Arseneva
Vom Netzwerk:
flacon rouge et noir, rehaussé de motifs géométriques, et le déboucha avec précaution. Le droujinnik inspira les effluves qui s’en échappaient. Oh oui, il reconnaissait bien cette odeur aguicheuse et lascive qui semblait être le parfum même de l’Orient mystérieux ! Pris de vertige, il avait la sensation de s’amollir et de se dissoudre, comme si sa volonté fondait à petit feu dans l’envoûtement des vapeurs des aromates.
    — Tu vois, une seule bouffée suffit pour exacerber les sens et les embraser de désir ! C’est ainsi que les amants goûtent une félicité jamais éprouvée auparavant. Donne-moi ton mouchoir, boyard !
    Les paroles de l’apothicaire parvenaient au droujinnik comme à travers un brouillard invisible. Machinalement, il tira de sa poche un grand carré de soie blanche. Comme Klim inclinait le flacon, il put distinguer un liquide pourpre, mi-opaque. Chaque goutte avait la couleur et la transparence profonde du grenat. À présent, son mouchoir semblait être taché de sang. Klim voulut le lui rendre, mais il repoussa sa main et chercha Vesna du regard. Assise près de l’âtre, elle remuait le contenu du chaudron à l’aide d’une baguette de bois. Comme si elle avait deviné son désarroi, elle leva la tête et lui adressa un sourire rassurant. Artem éprouva un soulagement immédiat.
    — N’aie crainte, boyard, ce n’est pas un poison ! affirma l’apothicaire. Dilué dans de l’eau ou du vin, cet élixir constitue un breuvage délectable, bien que particulier. Il a un goût aigre-doux, un peu épicé. Si tu le souhaites, je peux te préparer…
    — Assurément pas, trancha le droujinnik.
    Il était parvenu à secouer sa torpeur et se mit à arpenter la pièce.
    — Parle-moi de tes clients, ordonna-t-il à Klim pendant que celui-ci rangeait la fiole.
    — Il s’agit de la fine fleur de notre capitale ! Je vends des préparations aux vertus non seulement médicinales mais aussi esthétiques. Les riches exigent les meilleurs remèdes pour embellir leur apparence. Et puis il y a cette récente vogue des aromates ! Toutes ces personnes ont une chose en commun, la même tare…
    — La luxure ! lança le droujinnik.
    — Oh non, quelque chose de bien plus grave : le mauvais goût ! C’est surtout cela qui blesse l’esthète que je suis.
    Artem réprima une bouffée d’agacement. Il se demandait si Klim était sincère ou s’il se payait sa tête… Il revint se planter devant l’étagère et examina les élégants récipients.
    — C’est dans ces flacons que tu vends les fruits de ton travail… et de tes intrigues ?
    — Ceux de mes études, corrigea le bossu. Mais puisque tu t’intéresses à ces fioles, il faut louer le goût raffiné des Byzantins. Ils savent apprécier les moindres objets de la Grèce païenne. Ils ont eu cette idée formidable : copier les produits d’artisanat de cette époque lointaine comme on le fait avec des œuvres d’art.
    — Tu veux dire que les artisans d’aujourd’hui utilisent comme modèles les objets découverts au fond de la mer ou dans les ruines des villes antiques ?
    — Exact. Ainsi, chacun de mes flacons reproduit la forme et la décoration d’un type précis de vases antiques.
    — Tu parles d’amphores ?
    — Oui, mais aussi des vases à parfum, les alabastres, qui étaient plus petits. Regarde ce récipient décoré de figures rouges sur fond sombre : les compatriotes du grand Homère utilisaient ce modèle qui se nomme « aryballe ». Et là, cette fiole cylindrique à anses, ornée d’un motif noir sur fond clair, est un lécythe. Il y a plus de mille ans, des récipients identiques renfermaient les produits d’une industrie des parfums très renommée ! On s’en servait pour la toilette et lors de certaines cérémonies profanes.
    — Dans quel genre de flacon vends-tu le Sang d’Aphrodite ?
    Le bossu secoua sa tignasse striée de gris.
    — Ce sont mes clients qui choisissent la forme qui leur plaît. Ils raffolent de ces alabastres ! Moi, je les achète à Tsar-Gorod pour trois fois rien.
    — Pourtant, tu n’y es pas allé depuis quelques années ?
    — Je n’ai pas qu’un seul ami dévoué ! répondit Klim avec un clin d’œil. Depuis que j’ai cessé de voyager, des marchands de Tchernigov m’en rapportent une cargaison tous les étés.
    Le droujinnik tirailla sa moustache. Que l’apothicaire ait menti ou pas, ce n’était pas ainsi qu’il parviendrait à

Weitere Kostenlose Bücher