Le Sang d’Aphrodite
colosse, qui devint rouge comme une pivoine et se mit à tirailler les boucles de sa barbe.
— Puis-je te dire deux mots en particulier ? supplia-t-il dans un murmure.
Le droujinnik adressa un sourire d’excuse à Matveï. Celui-ci haussa les épaules et s’éloigna avec une mine aigre-douce.
— Je peux tout t’expliquer, boyard, chuchota Mitko avec ardeur. Cet individu est hautement suspect – ainsi que son beau-fils, d’ailleurs ! Je me suis dit que si je les surveillais discrètement, je pourrais peut-être dénicher quelque chose d’utile pour l’enquête. C’était un bon plan, mais la branche n’était pas assez solide…
Il se tut, embarrassé.
— Tu as beau former des plans, il y a loin de la coupe aux lèvres, gronda Artem. Voilà pourquoi je préfère que tu agisses toujours de concert avec Vassili. Compris ?
— Oui, boyard. Mais le hasard a agi en ma faveur, j’ai découvert des choses capitales !
Mitko jeta un coup d’œil méfiant vers Matveï. Celui-ci se tenait à l’écart avec un air détaché. Sans cesser de l’observer, le géant blond se pencha vers l’oreille d’Artem.
— L’un de ces deux drôles, Matveï ou Boris, a une énorme collection de parfums, une vingtaine de récipients au bas mot ! Ils étaient disposés sur un meuble muni d’un miroir dans la grande pièce du premier étage. Pas plus tard que ce matin, ces flacons étaient là, je les ai vus de mes propres yeux ! Mais quand j’ai repris tout à l’heure mon poste d’observation, ils avaient disparu. Quelqu’un les a cachés entre-temps : ni vu ni connu ! Heureusement, je peux témoigner contre ces deux lascars.
— Ce n’est pas très légal, ce que tu faisais, soupira Artem. Et ce serait ta parole contre la leur. Écoute-moi, espion de malheur : tu vas rejoindre Vassili à la résidence et vous allez me retrouver Philippos. Ne le lâchez plus d’une semelle, pas question qu’il parte encore en vadrouille ! Allez souper au réfectoire, puis attendez-moi sous la tonnelle.
Mitko adressa un salut militaire au droujinnik et détala sans demander son reste. Artem s’approcha de Matveï, le prit par le coude et l’entraîna vers la grand-rue.
— Viens, boyard, je vais t’expliquer ce regrettable incident. Il ne faut pas en vouloir à ce brave Varlet ! Il a péché par excès de zèle en essayant d’obtenir des renseignements complémentaires sur Anna. Nous cherchons à élucider ce meurtre par tous les moyens.
— Tu as donc repris l’enquête ? s’enquit vivement Matveï. Content de l’apprendre ! Lorsque j’ai quitté Tchernigov, il y a trois lunes, elle était au point mort.
— Elle avance à grands pas. Tu seras informé des résultats en temps utile. Au fait, où étais-tu hier matin ? J’ai rendu une visite informelle à Boris et nous avons bavardé un long moment, mais il n’a pas mentionné ta présence.
— C’est mon beau-fils tout craché ! lança Matveï d’un ton amer. Il fait comme si je n’existais pas. C’est à peine s’il daigne me saluer et il ne m’a pas dit un mot de ta visite. Je suppose que son animosité envers moi ne t’a pas échappé, boyard.
— En effet, il ne semble pas te porter dans son cœur, reconnut le droujinnik avec un léger sourire. Cela arrive souvent entre proches parents par alliance. J’espère que tu réagis en homme avisé et que tu n’y attaches pas trop d’importance. C’est bien à toi de lui donner l’exemple, pas vrai ?
Matveï ôta sa chapka en castor, se gratta la nuque et se tourna vers le droujinnik. Son œil agité de contractions trahissait son désarroi.
— Je fais de mon mieux, boyard, soupira-t-il. Pour comprendre nos relations, il faut que je t’explique les circonstances dans lesquelles nous avons été placés tous les deux.
Artem approuva de la tête. Il proposa de raccompagner son interlocuteur, et ils se dirigèrent lentement en direction de la propriété de Boris.
— Les difficultés ont commencé il y a des années, quand Boris a appris que sa mère allait se remarier avec moi. Il s’imaginait qu’il était en train de la perdre. Naturellement, il n’en était rien ! Mon épouse, que son âme repose en paix, raffolait de son fils. Les choses auraient pu s’arranger avec le temps… Mais un an après notre mariage, ma femme a péri dans un tragique accident. Boris s’est mis en tête que j’étais en partie responsable de sa mort. Il pensait – et il pense
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