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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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ajouta :
    — Je frémis de rage de devoir
en impôt la moitié du minerai extrait à ce scélérat d’Eudes, à charge pour lui
de remettre à son tour un quart de cette quantité à son suzerain direct, le
comte d’Authon.
    Au moment où elle prononçait cette
phrase, une révélation la frappa de plein fouet. La mine. Eudes connaissait ou
soupçonnait son existence. Ce n’était pas seulement le ressentiment, le désir
frustré qui l’avait poussé à œuvrer afin qu’elle soit arrêtée par
l’Inquisition. Ce n’était pas seulement pour se venger d’elle qu’il avait
tourneboulé la tête de Mathilde. C’était pour récupérer le fer. Si Agnès avait
été reconnue coupable d’hérésie ou de simple complicité d’hérésie, elle aurait
perdu son douaire. Mathilde en héritait alors. Eudes n’aurait eu qu’à la
combler de présents qui ne lui coûtaient que fort peu puisqu’il les puisait
dans la garde-robe ou le coffre à bijoux de sa défunte épouse, la douce
Apolline. À moins qu’il n’ait jugé plus expéditif de cloîtrer l’adolescente
dans un couvent, étant devenu son tuteur.
    Une rancune implacable lui dessécha
la gorge. Agnès s’en étonna elle-même. La débauche, la perversité d’Eudes
avaient-elles été à ses yeux une explication à ses actes, même honteuse ?
Peut-être. Peut-être y avait-elle vu une sorte de maladie d’esprit qui, d’une
certaine façon, déchargeait Eudes d’une part de sa responsabilité. En revanche,
l’argent, l’appât du gain, les ruses accumulées pour mettre la main sur le
douaire de sa demi-sœur veuve désignaient son âme vile et calculatrice comme
unique coupable.
    Après quelques instants de silence,
Clément lâcha d’une voix trop détachée pour être innocente :
    — Je ne vois guère de moyen d’y
échapper… Du moins tant que vous demeurerez l’arrière-vassale de messire
d’Authon.
    Agnès ne fut pas dupe :
    — Tu me maries bien prestement.
Souhaiterais-tu te débarrasser de moi ? Et puis… il n’est point us que la
dame se propose en union.
    Un petit rire gai lui répondit
d’abord, puis :
    — Toutefois, selon la coutume,
elle peut s’employer à faire sentir qu’un tel engagement recevrait ses faveurs,
surtout lorsque le monsieur n’attend qu’un signe… ou, devrais-je plutôt dire,
qu’il désespère qu’un signe lui soit enfin adressé.
    — Galopin, sourit Agnès,
soulagée de ce fugace moment de légèreté qui repoussait un instant les ombres
amassées sur eux.
    — Le peut-elle ? insista
Clément.
    — Elle le peut.
    — Sans déplaisir ?
    — Il faudrait être bien aveugle
ou bien extravagante pour en éprouver quelqu’un.
    — Avec un certain plaisir,
alors ?
    Elle ne put retenir davantage son
hilarité et prétendit le gronder :
    — Cesse aussitôt ! Que me
fais-tu dire ? Car je ne ris pas, pouffa-t-elle, j’en suffoque d’encombre.
Allons polisson [34] , brisons là !
    La joie de Clément d’être parvenu à
la dérider ne fut que de courte durée. Il devait lui apprendre la vérité sur
ses découvertes dans la bibliothèque des Clairets. Il n’était plus temps
d’ajourner ses aveux.
     

Abbaye de femmes des Clairets,
Perche, décembre 1304
    L’ombre glissa dans le couloir qui
longeait le scriptorium, précédée par la buée de son souffle. Elle contourna le
réfectoire et tendit l’oreille. Nul son, nulle présence. L’hostellerie était
déserte en raison de la forte odeur de suie qui y persistait encore. Sa
complice avait été bien madrée de lui suggérer ce plan de diversion. Elle avait
mis le feu. L’ombre n’avait eu qu’à patienter et à profiter de l’agitation à
l’opposé de l’abbaye pour dérober les manuscrits. Quant à cette sotte de
Thibaude de Gartempe, sœur hôtelière, elle tapait sur les nerfs de toutes à
seriner sans relâche qu’elle ne comprenait pas, qu’elle avait beau retourner
cette énigme en tous sens, qu’elle n’était en rien fautive des flammes qui
avaient failli ravager son domaine.
    La silhouette déboucha dans le
chauffoir, situé non loin des étuves. Blanche de Blinot, qui avait annexé
l’endroit depuis quelques semaines, avait rejoint le dortoir pour reprendre,
aussitôt couchée, le sommeil de bûche qui ne la quittait plus
qu’occasionnellement. La vieille femme appréciait cette pièce qui lui
permettait, affirmait-elle, de lire les Écritures sans trembler de froid ou
redouter un mal de poitrine. Les

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