Le sang de grâce
maternité hors les liens sacrés du mariage, sans
doute parce qu’elle avait suivi le signe qui lui désignait l’homme dont devait
naître l’enfant. Une fille.
Il leva les yeux vers la sœur
apothicaire qui le contemplait avec inquiétude.
— Tout va bien, ma soeur, la
rassura-t-il.
Il s’approcha de la petite esconce
qu’elle tenait et offrit un coin de la lettre à la morsure de la flamme. Ils
suivirent en silence la lente carbonisation du papier de chiffon. Francesco le
retint jusqu’à ce que le précaire incendie lui morde les doigts.
— Il va vous falloir bientôt
partir, chevalier, indiqua Annelette Beaupré.
— Je ne l’ignore pas. Je
n’aurai même pas le soulagement de m’être recueilli sur la tombe de ma deuxième
mère.
L’apothicaire approuva d’un signe de
tête avant de préciser :
— Elle est enterrée dans la nef
de l’église Notre-Dame de l’abbaye, aux côtés des abbesses qui l’ont précédée.
— Savez-vous… J’ai eu l’infini
bonheur d’avoir deux mères magnifiques, que j’ai aimées autant l’une que
l’autre. (Conscient que le temps pressait et que les dortoirs s’éveilleraient
bientôt pour le premier office, il ajouta :) Les manuscrits… Il faut
absolument les retrouver, ils ne doivent pas sortir des Clairets.
Elle soupira d’appréhension en
déclarant :
— J’y parviens pour l’instant,
mon frère. J’ai vitupéré afin que l’on suive à la lettre les derniers ordres
donnés par madame de Beaufort mais… si la nouvelle abbesse nommée…
— Est de leur côté,
compléta-t-il pour elle. Et je n’en doute pas. C’était le mobile du meurtre de
ma tante. Mettre à sa place une de leurs complices. Je crains fort qu’elle ne
rejoigne au plus vite les Clairets. Nous avons peu de temps. Si vous trouviez les
manuscrits, détruisez à l’instant le traité de nécromancie. Je m’en veux
d’avoir tant tardé à le faire.
— Et les autres ? Je ne
puis sortir afin de vous les remettre, si tant est que je parvienne à les
découvrir. Ce carnet de vos notes dont m’a parlé notre bien chère mère et…
Il l’interrompit d’un geste. Soudain
son cœur s’emballa. Le souvenir d’une empreinte d’encre sur un bas de page… La
feuille arrachée qui l’avait tant inquiété puisqu’elle portait l’essentiel de
leurs conclusions en encre sympathique ! Le voleur les sauvait sans
l’avoir prévu. Il se signa de reconnaissance et balbutia :
— Nous ne sommes pas aussi
perdus que je le croyais. Ma sœur, quelqu’un a eu accès à cette bibliothèque,
hormis ma tante.
— C’est impossible. Elle seule
en connaissait l’existence, à l’exception de cet émissaire du pape venu lui
porter une missive et qu’elle y a caché durant quelques heures. On l’a retrouvé
mort, non loin de l’abbaye.
— A-t-on retrouvé une feuille
de papier sur lui ?
— Non, rien. La missive rédigée
par l’abbesse avait disparu.
Il ne faisait pas allusion à la même
feuille et s’obstina :
— Quelqu’un a dû pénétrer à
l’insu de ma tante !
Récupérant l’esconce d’Annelette, il
se dirigea brusquement vers l’escalier qui plongeait dans les profondeurs
ténébreuses de la réserve utilisée comme atelier de réparation. Il le dévala en
s’aidant de la rampe pour ne pas rater une des marches englouties par
l’obscurité. Il avança avec prudence sur le sol de terre battue, glissant un
pied devant l’autre, et trébucha presque sur l’escabeau de bois qui permettait
d’accéder aux rayonnages les plus hauts des bibliothèques. Il avait été poussé
contre le mur du fond, juste sous l’étroit soupirail qui permettait d’aérer le
sous-sol. Francesco gravit les deux premiers degrés et leva son esconce afin
d’examiner les épais barreaux de fer. Seul un mince enfant avait pu s’y
faufiler. Il remonta précipitamment vers la bibliothèque et chuchota :
— Vous dispensez quelque
enseignement à des enfants. Pensez-vous que l’un d’eux aurait pu découvrir
l’emplacement de la bibliothèque secrète ?
Annelette n’avait pas bougé d’un
pouce, prenant son mal en patience. À la question presque accusatrice du
chevalier, elle répondit :
— Certes, nous accueillons
quelques écoliers. Mais ils n’ont nul droit de se promener dans l’abbaye et
encore moins hors la surveillance des soeurs écolâtres !
Francesco ne commenta pas, jugeant
en son for intérieur la naïveté d’Annelette
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