Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
alors faire sortir les
manuscrits tant attendus par le camerlingue. Tout serait définitivement perdu.
    Un calme glacé envahit Annelette. Il
faudrait d’abord qu’« ils » lui passent sur le corps. Elle repoussa
la panique que faisait monter en elle l’idée de son extrême solitude, de sa
fragilité.
    Elle allait découvrir la complice de
Jeanne. Un soupçon s’imposa à elle. Qui mieux que Sylvine Taulier, la sœur
fournière, avait pu préparer un pain de seigle contaminé par l’ergot ? Ou
alors Adèle de Vigneux, la gardienne des grains ? Elle comptait interroger
Sylvine avec habileté, ce qui ne lui demanderait pas de gros efforts puisque l’autre
n’avait pas inventé l’eau tiède. Un piètre sourire lui vint après ce constat.
L’abbesse l’aurait sermonnée pour son manque de charité. Le temps de la
bienveillance ou de l’excuse était dépassé, et Éleusie avait trépassé.
    L’énergie qui l’avait désertée
depuis le décès de la femme admirée lui revint comme une bénédiction. Annelette
allait se battre, jusqu’au bout.
    Ensuite, justice serait rendue.
     

Taverne de la Jument-Rouge,
Alençon, Perche, décembre 1304
    L’aubergiste, la trogne violacée par
l’excès des culs de cruchons qu’il mettait un point d’honneur à vider lorsque
ses clients les dédaignaient, se précipita vers l’élégant seigneur qui baissait
la tête afin de ne pas se cogner aux poutres basses. Il le reconnaissait.
    — Messire… messire, quel
honneur pour mon modeste établissement que votre présence… renouvelée,
clama-t-il en se pliant.
    Artus d’Authon songea que nul
n’ignorait plus maintenant son rang. C’était, au demeurant, le but poursuivi
par le tenancier, flatté de si auguste clientèle. Une clientèle riche et
généreuse de surcroît. Ce noble seigneur avait abandonné les menues piécettes
de son rendu sur la table lors de sa précédente visite. L’Adèle, la souillon de
cuisines [58] , les avait récupérées en débarrassant la table, mais maître Rouge [59] les lui avait bien vite fait restituer. Ces gueuses ne doutaient de
rien. On leur offrait le gîte et le manger et elles s’attendaient en plus à
être payées ! Quant à ses hardes, la grande générosité de maîtresse Rouge
y pourvoyait. En effet, sa Muguette d’épouse, en plus d’être gironde et peu
farouche à la nuit venue, avait le cœur sur la main. Du reste, il lui en
faisait parfois le gentil reproche :
    — Maîtresse Rouge, vos
largesses vous honorent, mais prenez garde qu’on ne vous dévore la main avec
l’offrande.
    — Bah, rétorquait son mamour en
s’essuyant les lèvres d’un revers de main. Cette loque de robe est si râpée et
usée jusqu’à la trame qu’on me verra bientôt le cul et les nichons [60] . L’autre sauterelle est creuse et menue. Elle pourra s’en tailler
trois dedans.
    À la vérité, les formes plantureuses
de maîtresse Rouge avaient de quoi affamer le plus repu des aubergistes et la
faim tirailla maître Rouge à leur seule pensée. Il fournit un effort pour
revenir à son hôte prestigieux :
    — Et que puis-je vous offrir,
monseigneur ?
    — De ton meilleur vin… je dis
bien le meilleur.
    — Certes, certes, je vous sais
connaisseur, lança le seigneur de la Jument-Rouge, afin de convaincre
d’éventuelles oreilles traînantes qu’il avait déjà eu long commerce avec ce
gentilhomme.
    Artus ne fut pas dupe et sauta sur
cette occasion.
    — Et deux gobelets afin que
nous partagions ton nectar !
    Des têtes d’habitués surpris se
levèrent à cette proposition. L’autre crut s’évanouir de contentement. Quelle
joie, quel honneur ! Ah, maîtresse Rouge ne s’en remettrait pas lorsqu’il
lui conterait l’invitation de ce grand seigneur, au moins un riche chevalier.
Peut-être même un baron et pourquoi pas un comte ? Ah ! Mon
Dieu !
    Lorsque maître Rouge s’installa,
ému, quelques instants plus tard, le rose de la satisfaction n’avait toujours
pas abandonné ses joues. Certes, il n’était pas benêt au point de croire qu’un
comte, un baron, voire un chevalier fortuné mandait sa présence à la table pour
le seul privilège de sa conversation. Quoi qu’il en fût, l’aubergiste avait
plus d’un tour dans son sac. Il savait médire sans jamais se compromettre,
cafarder sans risquer de représailles, ou dire la vérité mais uniquement
lorsqu’elle le servait. D’autant que s’ils parlaient bas, les autres

Weitere Kostenlose Bücher