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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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leur nature d’être des fauves.
Ils ne s’accordent donc jamais confiance. Eh bien, soit. Je lèverai dès demain
l’interdiction de sortie. Il me faut d’abord présenter mes lettres de créance à
ces vieilles folles qui font office de chapitre de l’abbaye, puis légitimer mon
sceau. Nous nous retrouverons en l’étuve que vous connaissez, à deux jours. Mon
passage ici aura été fort bref et, pour être franche, je ne le regretterai pas.
C’est sinistre… Et ce froid humide me semble bien malsain. Eh quoi, l’amour de
Dieu devrait-il nécessairement vous envoyer dans la tombe ?
    — Je l’ignore. Mon seul intérêt
se résume à moi.
    — Une sage parole comme je les
apprécie, ma fille. Disposez.
    Une demi-heure s’était écoulée
depuis vêpres lorsque Esquive pénétra dans l’herbarium, si silencieusement
qu’Annelette, penchée sur son registre d’inventaire, sursauta. L’apothicaire ne
put retenir un sourire en détaillant, cette fois avec soin, la très jeune
fille. Elle était assez menue, petite, le haut de sa tête arrivant à peine à
l’épaule de la grande femme. Son ravissant visage presque triangulaire lui
donnait des allures de mignon chaton, impression encore amplifiée par ce grand
regard en amande, ambre pâle. Une petite bouche en cœur, d’un radieux écarlate,
avivait la pâleur de son teint. Une masse de cheveux frisés, très bruns,
dépassait aujourd’hui de sous le voile court des novices. Une miniature
fragile, de proportions parfaites et pourtant, Annelette n’eut nul doute que
ses menottes d’enfante pouvaient défendre avec férocité et que derrière ce haut
front lisse se dissimulait la détermination, la pugnacité d’un soldat de leur
Quête. Elle frissonna. Le monde, celui-là même qu’elle avait abandonné des
années auparavant derrière l’enceinte de l’abbaye, la rattrapait par
l’intermédiaire de cette jeune fille, et c’était un monde dont elle ne
connaissait rien. Un monde dans lequel elle se sentait faible, inepte et sans
repères. Un monde dans lequel de très jeunes filles sont d’opiniâtres soldats,
où les abbesses sont de belles catins décidées à tout, où l’on tue par
facilité, où l’on ment par amusement, où l’on saccage par tocade. Annelette
songea que jamais, jamais elle ne rejoindrait ce monde. Au fond, il avait fallu
ces affreux enherbements pour qu’elle admette à quel point elle n’y avait plus
sa place, à quel point elle n’en voulait plus.
    — J’ai mis à profit l’office
afin de réfléchir, attaqua Esquive. Nous ne sommes que deux, mais nous sommes
deux. Nous devons mener concomitamment deux contre-attaques. La première
consiste à ne jamais relâcher notre surveillance sur Jeanne d’Amblin, la
seconde à nous assurer que Sylvine Taulier est son acolyte. La tourière ne doit
pas pouvoir confier les manuscrits à une autre sœur.
    — Ne va-t-elle pas plutôt les
remettre à la nouvelle abbesse ? N’est-ce pas la raison de la prompte
nomination de cette dernière ?
    — Ne m’avez-vous pas affirmé
que Jeanne était rusée ? Accorder une telle confiance à madame de Neyrat
serait une maladresse suicidaire. Si Jeanne se défait des ouvrages, elle n’a
plus d’utilité aux yeux de Benedetti et de ses nervis. Non, l’abbesse va
permettre à Jeanne de faire sortir les manuscrits au plus tôt. L’échange contre
de l’argent se fera ensuite. En d’autres termes, si Jeanne décide de récupérer
les précieux volumes, elle ne dispose que de cette nuit, sans doute bien après
complies, lorsque les moniales seront couchées, déclara Esquive. Il importe
donc que nous soyons assurées de l’identité de l’acolyte de Jeanne, Sylvine, la
sœur fournière, si vous avez vu juste. Nous ne sommes que deux, je vous le
rappelle : il nous serait très difficile de suivre la tourière en plus
d’une sbire indéfinie.
    — Quelle importance ?
argumenta Annelette Beaupré. Seule Jeanne est cruciale. Je doute qu’elle ait
partagé le secret de sa cachette avec une autre. Elle récupère les manuscrits
et nous nous jetons sur elle pour les lui arracher.
    Comme pour prouver qu’elle se
sentait de taille à un affrontement physique, l’apothicaire remonta les manches
de sa robe en dépit du froid glaçant qui régnait dans la maisonnette. Cette
déclaration arracha un mince sourire à Esquive d’Estouville qui tempéra
l’humeur de l’autre :
    — Quant à moi, je ne puis me
départir d’une

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