Le sang des Borgia
différence, c’est que la trinité égyptienne comptait une femme. L’Égypte fut l’une des civilisations les plus avancées de l’Histoire, et nous ferions bien de réfléchir à l’exemple qu’elle nous donne.
— Père, intervint César, ce n’est quand même pas la vraie raison ! C’étaient des païens ! Tu as pensé à autre chose que tu ne nous dis pas.
Alexandre se dirigea vers Lucrèce, caressa ses longs cheveux et se sentit pris de remords. Il ne pouvait, en effet, leur avouer ce à quoi il avait pensé. Il comprenait le cœur des femmes, et savait que leur premier amant commanderait toujours leur amour et leur fidélité. Une fois qu’elle se donnait, une femme abandonnait également les clés de son cœur et de son âme. Mais il devait veiller à ce que Lucrèce ne cède pas aussi celles du royaume. Le temps était venu de s’en assurer la possession.
— Nous sommes une famille, dit-il à ses enfants, où la fidélité doit passer avant tout le reste. Il nous faut apprendre les uns des autres, nous protéger mutuellement, rester unis. De cette manière, jamais on ne pourra nous vaincre. Dans le cas contraire, nous serons tous condamnés.
Il se tourna vers Lucrèce :
— Tu as raison, mon enfant. En ce cas précis, le choix te revient – même si tu ne peux choisir qui tu épouseras. La jeune fille jeta un coup d’œil à Juan et inclina la tête :
— Plutôt entrer dans un couvent !
Puis elle se tourna vers César :
— Il faut que tu me promettes d’être tendre.
Il sourit et s’inclina :
— Tu as ma parole. De ton côté, tu m’en apprendras plus sur l’amour que je n’en ai entendu jusqu’ici. Cela me sera utile !
— Père, dit Lucrèce en se tournant vers Alexandre, seras-tu là ? Je n’aurai pas le courage, sans toi. J’ai entendu tant d’histoires de Julia comme de mes dames de compagnie…
— Je serai là, répondit-il. Comme lors de ta nuit de noces ; un contrat n’est valide qu’en présence de témoins.
— Merci, père ! s’exclama-t-elle en lui sautant au cou. Me feras-tu cadeau d’une robe, et d’un anneau orné d’un rubis, pour fêter l’événement ?
— Bien sûr, bien sûr ! Tout ce que tu veux !
La semaine suivante, Alexandre s’assit donc sur son trône, vêtu d’une soutane de satin blanc, mais sans porter sa lourde tiare : il s’était contenté d’une calotte de satin. L’estrade, placée face au lit, s’appuyait contre une tenture d’une beauté exquise, dans l’une des pièces les plus richement ornées de la demeure des Borgia, récemment restaurée. Les domestiques avaient reçu l’ordre de rester à l’écart jusqu’à ce que le souverain pontife les appelle.
Le pape regarda son fils et sa fille se dévêtir. Elle gloussa en voyant son frère nu. Alexandre sourit, en songeant que le visage de César ne montrait de tendresse qu’en présence de sa sœur. Le reste du temps, il gardait toujours quelque chose d’agressif. Mais cette fois, il paraissait sous le charme.
Lucrèce était un véritable trésor, et pas seulement à cause de sa beauté – bien qu’il n’y eût pas soie plus fine que les boucles blondes qui lui encadraient le visage. Ses yeux brillaient. Son corps était parfait, quoiqu’elle fût un peu mince ; mais sa peau était superbe et sa poitrine s’épanouissait déjà. Un véritable trésor pour quiconque serait son maître.
— Suis-je belle ? demanda-t-elle à son frère, qui répondit d’un signe de tête.
Elle se tourna vers son père :
— Qu’en dis-tu ? Plus belle que toutes les femmes que tu as vues ?
Alexandre sourit :
— Tu es superbe, mon enfant. L’une des plus belles créations de Dieu !
Levant lentement la main droite, il fit le signe de la croix, puis leur enjoignit de commencer. Son cœur était plein de joie et de gratitude pour ses enfants, qu’il aimait tant. Dieu le Père, se dit-il, avait dû éprouver le même sentiment en observant Adam et Ève dans le jardin d’Éden. Cette pensée l’amusa, puis l’intrigua. N’était-ce pas là cette démesure, cet hubris, à quoi les héros païens finissaient toujours par succomber ? Il se signa de nouveau et implora le pardon divin. Mais ses enfants avaient l’air si innocents, si exempts de remords, leurs visages brillaient d’un tel plaisir ! Jamais plus ils n’auraient l’occasion de visiter un tel paradis. N’était-ce pas d’ailleurs ce pour quoi l’homme et la femme étaient faits ? Le
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