Le sang des Borgia
pouvoir du pape. Pour autant, il était dépourvu du zèle évangélique de son épouse, Isabelle de Castille, et n’éprouvait nul besoin de persécuter ceux qui pensaient autrement que lui. C’était un homme raisonnable à qui la foi permettait avant tout de défendre son royaume. Alexandre et lui s’estimaient mutuellement ; chacun jugeait l’autre digne de confiance – sans excès superflu.
Vêtu d’une simple cape de satin bleu sombre ornée de fourrure, le roi avait l’air très élégant face au pape qui l’accueillait dans son immense salle de réception. Il but pensivement une gorgée de vin.
— Votre Sainteté, en signe de bonne volonté, le roi Ferrante m’a chargé de vous informer d’un fait qu’il a appris récemment, et qui pourrait vous être utile. Il est en effet certain que l’Église est l’alliée, non seulement de l’Espagne, mais aussi de Naples.
Alexandre sourit, mais son regard restait prudent :
— Le ciel récompense toujours ses fidèles.
— Peu après le conclave, le chef des armées du roi Ferrante, Virginio Orsini, a rencontré le cardinal Cibo pour lui acheter trois châteaux hérités de son père, Sa Sainteté Innocent VIII.
Le pape fronça les sourcils et resta silencieux quelques instants :
— Cette transaction n’a pas été portée à notre connaissance. Une véritable trahison ! Et commise par un prince de l’Église !
À dire vrai, Alexandre s’inquiétait moins de la duplicité de Cibo que de celle d’Orsini. Ce dernier était en effet le beau-frère d’Adriana ; le pape l’avait toujours considéré comme un ami. De surcroît, certains hommes inspirent confiance, quelles que soient les circonstances, et Virginio Orsini était du nombre.
Ce soir-là, lors du dîner, le roi Ferdinand donna la clé de l’énigme :
— La discussion s’est tenue à Ostie, dans le palais de Giuliano Della Rovere.
Alexandre comprit d’un coup : son vieil ennemi était derrière tout cela ! Quiconque s’assurait ces trois imprenables forteresses situées au nord de Rome tenait la ville à sa merci.
— C’est là un problème qu’il faut résoudre, finit-il par dire.
— En me rendant à Naples, je peux discuter avec Ferrante en votre nom, pour voir ce qui peut être fait.
Le roi se retira après avoir baisé l’anneau du pape, en l’assurant qu’il ferait tout pour régler la difficulté. Puis il ajouta négligemment :
— Votre Sainteté, il y un autre problème. Le Portugal et l’Espagne se disputent les territoires du Nouveau Monde. La reine et moi-même apprécierions beaucoup votre médiation, car de toute évidence il est nécessaire que la sagesse divine éclaire cette situation.
Le roi d’Espagne se rendit ensuite à Naples pour y rencontrer son cousin. Dès son arrivée, des messagers se mirent à faire la navette entre Rome et Naples. Pour finir, Ferrante assura le pape qu’il n’avait jamais été question de le menacer en s’assurant la possession des trois châteaux, dont le souverain pontife pourrait disposer pour défendre Rome en cas d’invasion française.
Virginio Orsini en demeurerait le maître, mais il devrait verser chaque année quarante mille ducats de dîmes, afin de témoigner de sa fidélité à l’Église.
En échange, que proposait le pape ?
Le roi Ferrante voulait que César épouse sa petite-fille Sancia, âgée de seize ans. Alexandre refusa, rappelant que son fils était cardinal, et offrit à sa place le plus jeune de ses fils, Geoffroi. Ferrante ne voulut rien savoir : c’était vraiment perdre au change !
Les prédécesseurs d’Alexandre n’avaient jamais rien refusé à Ferrante ; mais le pape se montra inflexible. Il avait de grands projets pour César ; c’était un or pur qu’on ne saurait échanger contre du plomb.
Ferrante n’ignorait nullement les talents de négociateur d’Alexandre ; il se sentit furieux. S’il laissait passer cette occasion de nouer une alliance entre eux, le pape aurait tôt fait d’en conclure une autre qui mettrait Naples en péril. Après bien des délibérations, le roi finit donc, à contrecœur, par accepter la proposition. Pourvu que Geoffroi, qui n’avait que douze ans, fût capable de faire l’amour à Sancia, pour légitimer le contrat, avant que son père ait trouvé mieux ailleurs !
Mais Ferrante mourut cinq mois après les fiançailles. Son fils Alfonso lui succéda. Beaucoup moins cruel que son père, il était aussi beaucoup moins doué,
Weitere Kostenlose Bücher