Le sang des Borgia
et se retrouva à la merci d’Alexandre. Naples étant, officiellement, territoire pontifical, dont le pape demeurait suzerain, lui seul pouvait accorder au fils du roi le droit de monter sur le trône. Si Alfonso le froissait, il serait bien capable de choisir un autre prétendant.
Il est vrai qu’Alexandre devait faire face à un nouvel adversaire. Charles VIII avait lui aussi des visées sur Naples, et en réclamait la couronne. Il envoya au souverain pontife une ambassade chargée de lui rappeler que, si nécessaire, il le ferait déposer et remplacer par un nouveau pape. Alexandre savait toutefois que la mainmise française sur Naples marquerait la fin de l’indépendance des territoires pontificaux.
Pire encore, l’agitation gagnait les ennemis des Espagnols et de la papauté dans toute la péninsule, ce qui pourrait rompre la paix fragile régnant en Italie depuis son accession au trône de saint Pierre.
C’est alors qu’il reçut des nouvelles qui l’aidèrent à prendre une décision. Duarte Brandao vint le voir :
— L’invasion française se précise. Charles VIII est plein d’enthousiasme, et bien résolu à devenir le plus grand monarque de son temps. Il compte même prendre la tête d’une nouvelle croisade pour libérer Jérusalem.
— Auparavant, il lui faut conquérir Naples, et pour cela traverser les États de l’Église.
— En effet. Il a par ailleurs annoncé son intention de réformer la papauté, ce qui ne peut se faire que d’une seule façon, que vous connaissez.
Alexandre réfléchit :
— Il lui faudra me déposer pour obtenir ce qu’il veut…
Le pape ne pouvait s’aliéner Alfonso : il aurait besoin des armées napolitaines, qui pourraient s’installer au nord de Rome pour repousser toute attaque française contre la Ville éternelle.
Tout cela le conduisit à former de nouveaux projets. Il lui faudrait unifier les cités-États de toute l’Italie, pour se défendre lui-même, défendre Rome, défendre l’Église. À cette fin, il songea à créer une sainte ligue.
À peine présenté aux intéressés, le projet se heurta toutefois à de vives résistances. Comme toujours, Venise voulait demeurer neutre. Milan était déjà du côté des Français, Florence n’avait plus guère de puissance militaire, et un prêcheur enflammé nommé Savonarole y avait trop d’influence sur la populace pour que les Médicis songent à se joindre à la coalition.
Alexandre en conclut qu’il devait couronner Alfonso sans perdre de temps – faute de quoi un autre ne tarderait pas à coiffer la tiare papale.
Quatre jours plus tard, le fils de Ferrante devint donc roi de Naples, tandis que Geoffroi épousait la fille du nouveau souverain, Sancia.
Devant l’autel de la chapelle de Castel Nuovo, le marié, qui n’avait que douze ans, fit de son mieux pour paraître plus âgé aux côtés de son épouse, qui en avait seize. Il était plus grand qu’elle, et assez beau, avec son épaisse chevelure blonde et ses yeux clairs, mais n’avait ni charme ni esprit. Sa promise, fort agacée du choix de son père, jetait des regards mauvais à l’assistance. Quand l’archevêque demanda à Geoffroi : « Prendrez-vous cette femme… », le jeune garçon, sans attendre la fin, lança un « Oui ! » retentissant.
Tout le monde éclata de rire ; Sancia en fut humiliée et prononça ses voeux d’une voix à peine audible. Devoir épouser un gamin idiot !
Elle s’adoucit un peu quand, lors de la réception qui suivit, elle vit les pièces d’or et les bijoux qu’il apportait en cadeau ; quand il en distribua à pleines poignées à ses demoiselles d’honneur, elle consentit même à lui sourire.
Le soir, dans la chambre des époux, en présence du roi et de deux autres témoins, Geoffroi Borgia grimpa sur sa nouvelle épouse et la chevaucha comme il l’aurait fait d’un poney. De son côté, elle demeura aussi immobile qu’un cadavre. Il la monta ainsi à quatre reprises, puis le monarque jugea que c’en était assez, et que le contrat de mariage était parfaitement valide.
Alexandre convoqua César et Juan dans la salle de la Foi où, selon l’accord conclu avec le roi Ferdinand, il avait promis de recevoir les ambassadeurs d’Espagne et du Portugal afin de régler la querelle qui les opposait dans le Nouveau Monde.
Quand ses fils entrèrent, il leur dit :
— Ce sera l’occasion pour vous d’apprendre un peu ce qu’est la diplomatie. Vu les positions que
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