Le sang des Borgia
chacun de vous occupera, vous serez amenés à prendre part à bien des négociations.
Il se garda d’ajouter que la requête du roi Ferdinand n’était pas qu’un simple geste de déférence ; cela reflétait l’influence, à la fois politique et religieuse, de la papauté en cet âge de découvertes. Cela lui assurerait le soutien de l’Espagne, dont le pape aurait grand besoin si jamais le roi de France envahissait la péninsule.
Levant les yeux quand les ambassadeurs entrèrent, Alexandre les accueillit avec chaleur et dit :
— Vous connaissez sans doute nos fils, le cardinal Borgia et le duc de Gandia ?
— Bien sûr, Saint-Père, répondit l’Espagnol, aristocrate massif sanglé dans une tunique noire couverte de brocart.
Il eut un signe de tête à l’intention des deux hommes. Son collègue portugais l’imita.
— Mes fils, dit le pape en montrant de la main une carte étalée sur une table, nous croyons avoir résolu un problème qui tourmentait les deux nations que représentent Leurs Excellences.
Les diplomates acquiescèrent en silence, tandis qu’Alexandre poursuivait :
— Toutes deux ont envoyé de courageux explorateurs jusqu’au bout du monde, par-delà des mers inconnues ; chacune a des droits sur les richesses du Nouveau Monde. L’Église, du temps de notre prédécesseur Calixte III, avait décrété que le royaume du Portugal avait droit à toutes les terres non chrétiennes situées sur les côtes de l’Atlantique. La couronne portugaise déclare donc que tout le Nouveau Monde lui appartient. L’Espagne, de son côté, affirme que Calixte ne voulait parler que des terres situées sur les côtes occidentales de l’océan, non de celles récemment découvertes de l’autre côté. Afin d’éviter un conflit entre ces deux grands peuples, le roi Ferdinand nous a demandé d’arbitrer leur différend. Et les deux nations, soucieuses d’être guidées par la lumière divine, ont accepté de se soumettre à notre décision. Est-ce bien exact ?
Les deux ambassadeurs hochèrent la tête sans mot dire.
— Nous avons réfléchi à la question avec le plus grand soin, et passé bien des heures à genoux, en prières. Et nous avons fini par prendre une décision. Il faut que le Nouveau Monde soit divisé selon cette ligne.
Il désigna du doigt un trait qui, sur la carte, se trouvait à une centaine de lieues à l’ouest des Açores et des îles du cap Vert.
— Toutes les terres situées à l’est de cette ligne, dont beaucoup d’îles très riches, appartiendront au royaume du Portugal. Celles situées à l’ouest appartiendront à Leurs Majestés Catholiques Ferdinand et Isabelle.
Il se tourna vers les ambassadeurs :
— Nous avons rédigé une bulle, Inter Cætera, qui détaille notre règlement de la question. Plandini, le secrétaire du Vatican, vous en donnera une copie à chacun. J’espère qu’elle vous satisfera et permettra de sauver bien des âmes qui auraient été sacrifiées sans notre intercession.
Il eut un sourire éblouissant ; les deux diplomates s’agenouillèrent pour baiser son anneau et se retirèrent.
— Qu’en pensez-vous ? demanda Alexandre à ses fils.
— Les Portugais ont perdu au change, père, répondit César. Ils ont reçu beaucoup moins de territoires !
Alexandre eut un sourire féroce :
— Mon fils, c’est le roi Ferdinand qui m’a demandé d’intervenir ! Et d’ailleurs, notre famille est d’origine espagnole. De surcroît, il ne faut pas oublier que l’Espagne est actuellement le royaume le plus puissant d’Europe. Nous aurons besoin de son aide si le roi de France envahit l’Italie avec l’assistance du cardinal Della Rovere. Les Portugais ont de grands marins, mais peu de soldats.
Il posa la main sur l’épaule de Juan :
— Mon fils, suite au succès de la médiation de l’Église, tes fiançailles avec Maria Enriquez auront lieu plus tôt que prévu. Prépare-toi. Il ne faut pas offenser notre ami le roi Ferdinand : assurer cette alliance nous a demandé beaucoup de diplomatie. Il nous faudra remercier Dieu chaque jour pour la bonne fortune de notre famille, comme pour cette mission de diffuser la parole du Christ sur la terre entière.
Moins d’une semaine plus tard, accompagné de somptueux présents, Juan se mit en doute en route pour l’Espagne, pour rencontrer à Barcelone la famille Enriquez.
Le pape se sentait las : la terre comme le ciel semblaient reposer sur ses épaules. Un peu de
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