Le sang des Borgia
morceau d’ambre serait attaché : plus tard, il fit même souder la chaîne, de façon à ne plus pouvoir l’enlever. À l’en croire, l’amulette le protégeait du mal ; personne ne put le convaincre que c’était là pure superstition.
Noni rentra lentement dans sa chaumière, suivie par César. À l’intérieur, plongé dans la pénombre, des petits sachets noués de rubans contenaient toutes sortes d’herbes. Elle en prit un, en sortit quelques feuilles que, de ses doigts crochus, elle déposa dans un mortier et pila longuement pour les réduire en une poudre qu’elle plaça dans un sachet et tendit à César :
— C’est le grand secret de cette herbe ! lui dit-elle. Elle provoque un sommeil sans rêve. Une pincée suffit pour un homme, mais là tu en as pour toute une armée !
Il la remercia et, de nouveau, la serra dans ses bras. Toutefois, comme il allait remonter à cheval, elle lui posa la main sur l’épaule et dit :
— La mort est dans ta maison. Quelqu’un de jeune. Prends garde, toi aussi tu es en danger.
César hocha la tête et répondit d’un ton rassurant :
— La mort n’est jamais bien loin : nous vivons des temps périlleux !
8
Les troupes françaises, parfaitement disciplinées, s’avancèrent en territoire italien sans rencontrer grande résistance, se taillant un chemin vers Naples avec la précision d’une gigantesque faux.
César accompagnait la cavalerie. Bien qu’officiellement il fût otage, on le traitait avec le plus grand respect ; il n’était surveillé que de loin. Sa vieille passion des choses militaires s’était réveillée ; il observa avec le plus grand soin comment les chefs français élaboraient leur stratégie. Ici, sur le champ de bataille, il n’était plus cardinal, mais guerrier : pour la première fois de sa vie, il se sentait pleinement à l’aise.
Il aurait pu se contenter d’accompagner les Français jusqu’à Naples. Mais il lui fallait prendre en compte d’autres facteurs, à la fois en fils et en cardinal de l’Église apostolique et romaine. Il savait parfaitement qu’en dépit du pacte passé avec Charles VIII, son père ne tenait nullement à voir une puissance étrangère contrôler l’ensemble du territoire italien. Au même moment, Alexandre rencontrait les ambassadeurs d’Espagne, de Venise, de Milan et de Florence, tentant de ressusciter son vieux projet d’une sainte ligue qui barrerait la route à toute invasion de la péninsule.
Par ailleurs, l’Espagne se préparait à envoyer des troupes à Naples. Si les Français y arrivaient, si Charles parvenait à triompher des féroces armées napolitaines et à renverser le roi Alfonso, Alexandre VI, soutenu par le roi d’Espagne et Venise, pourrait le contraindre à se retirer en refusant de le couronner.
Cela n’allait pas sans difficultés. Le pape ne pourrait y réussir que si la vie de César n’était pas en danger. Or celui-ci se retrouvait otage du roi de France ; peut-être son père hésiterait-il… peut-être même, à cause de lui, refuserait-il d’agir. La solution s’imposait d’elle-même : César devait s’enfuir. Restait la question de Djem : fallait-il l’emmener ? Y consentirait-il ?
Le prince semblait en effet se réjouir de sa condition d’otage. La veille encore, César l’avait entendu parler avec les chefs militaires français et préparer avec eux le renversement de son frère le sultan. Le convaincre de revenir à Rome serait donc difficile, et en aucun cas César ne devrait se confier à lui.
Il y réfléchit intensément. S’échapper à deux accroîtrait les risques et il ne pouvait se permettre d’échouer. Djem ne courrait aucun danger ; il était trop précieux pour les Français, qu’il aiderait à organiser leur croisade si jamais Alexandre et l’Espagne ne parvenaient pas à les chasser d’Italie.
César se décida donc et, la nuit venue, vers minuit, sortit discrètement de sa tente. Deux gardes – des jeunes gens qu’il connaissait bien, ayant passé de nombreuses soirées avec eux – étaient assis autour d’un feu de camp.
— Belle nuit, leur dit-il. C’est la pleine lune, et pourtant je n’entends pas de hurlements.
Il éclata de rire pour bien montrer qu’il plaisantait.
L’un des gardes sortit une fiasque qu’il lui tendit, mais César refusa :
— J’ai bien mieux !
Retournant dans sa tente, il en revint avec une bouteille de vin et trois gobelets. Il les remplit et en offrit deux
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