Le sang des Borgia
disait pas tout :
— Et quelle serait ta stratégie, mon fils ?
César eut un sourire espiègle :
— Si, battant en retraite, le roi Charles trouve Votre Sainteté à Rome, il pourrait La contraindre à des concessions. Mais si Elle est ailleurs…
Quand l’avant-garde des troupes françaises entra dans Rome, elle fit savoir à Charles VIII que le pape était parti pour Orvieto, plus au nord. Le monarque, bien décidé à contraindre le Saint-Père à lui obéir, ordonna donc à son armée de gagner cette ville sans attendre. Toutefois, quand elle y parvint, Alexandre avait déjà pris la route de Pérouse, où il retrouverait Lucrèce.
Il avait envoyé Don Michelotto à Pesaro, pour qu’il y accompagne sa fille : le pape ne l’avait pas revue depuis des mois, et voulait s’assurer qu’elle allait bien, tout en discutant avec elle de son époux. Il serait agréable de passer le temps en sa compagnie, en attendant de voir ce que deviendrait l’invasion française.
Le roi Charles entra dans Orvieto soucieux de convaincre Alexandre de signer un nouveau traité, apprit qu’il s’était envolé et, furieux, ordonna à ses troupes de prendre la direction de Pérouse.
En chemin, il vit apparaître un de ses éclaireurs qui, hors d’haleine, lui apprit que d’importantes troupes de la sainte ligue étaient concentrées dans le Nord. Peu après, lui parvint une autre mauvaise nouvelle : Virginio Orsini, son allié de fraîche date, avait été capturé par les Espagnols qui, venant du Sud, se rapprochaient dangereusement.
Le souverain n’avait donc plus le temps de chercher à s’emparer d’un pape insaisissable. Le piège qu’il redoutait tant allait se refermer. Sans perdre un instant, il ordonna à son armée de gagner les Alpes à marches forcées. Elle y parvint de justesse, non sans devoir affronter des fantassins de la sainte ligue armés de piques, qui faillirent bien l’empêcher de franchir la frontière.
Vaincu, Charles VIII regagna donc le royaume de France.
9
La tourmente politique s’étant – pour le moment – apaisée, le pape se rendit au Lac d’Argent pour y prendre un peu de repos bien mérité. Il enjoignit aussitôt à ses enfants de venir l’y retrouver : ce serait l’occasion de réjouissances familiales.
Lucrèce vint de Pesaro, Juan d’Espagne, mais sans son épouse, Geoffroi et Sancia de Naples. Julia Farnèse et Adriana arriveraient ensuite ; car Alexandre comptait ne consacrer ses premiers jours qu’à ses enfants.
Il avait fait édifier au Lac d’Argent une somptueuse villa, un pavillon de chasse et ses écuries, ainsi que plusieurs petites chaumières destinées aux femmes et aux enfants qui l’accompagnaient souvent quand il décidait de fuir l’étouffante chaleur estivale de la ville. Il aimait être entouré de belles créatures élégamment vêtues, les entendre rire. Leurs époux étant partis pour des lieux lointains, elles venaient lui tenir compagnie, souvent avec leur progéniture.
Son entourage comptait, outre les membres de sa cour, une bonne centaine de personnes : aristocrates et leur épouse, dames de compagnie, serviteurs, cuisiniers. Il y avait aussi des musiciens et des acteurs, des jongleurs et des bouffons, pour ces représentations théâtrales que le pape aimait tant.
Alexandre passa une grande partie de ces journées au bord du lac, en compagnie de ses enfants. Il leur racontait, comme souvent, les grands miracles auxquels on avait assisté quand des pécheurs venus de Rome s’étaient baignés dans ces eaux pour s’y laver de leurs forfaits.
Il y a bien des années, quand il leur avait dit cela pour la première fois, César lui avait demandé s’il comptait faire de même. Borgia, qui n’était encore que cardinal, avait souri :
— Jamais ! Quels péchés ai-je donc commis ?
— Alors, je ne m’y baignerai pas non plus, avait répondu César en riant.
Lucrèce, les regardant tous les deux, avait lancé d’un ton espiègle :
— Et je suppose qu’aucun de vous d’eux n’a besoin d’un miracle ?
— Bien au contraire, mon enfant ! avait répondu son père. Mais les désirs terrestres me sont trop chers, je ne veux pas qu’ils soient lavés trop tôt. Le temps viendra, mais pas tant que je préférerai goûter la vie dans toute sa plénitude que songer au salut de mon âme…
Puis il s’était signé, comme par peur d’avoir commis un sacrilège.
Cette fois-là, chaque journée commençait de bon matin
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