Le sang des Borgia
ennemies. Mais le pape devait concevoir un châtiment tel que plus jamais personne n’oserait le trahir.
Après y avoir mûrement réfléchi, il se dit qu’il devrait faire un exemple des Orsini, pour décourager toute tentative de rébellion. Pour cela, il lui faudrait recourir à l’arme absolue : l’excommunication. Il n’avait d’ailleurs pas le choix : toute la famille Orsini devait être exclue de l’Église catholique.
C’était une mesure d’une exceptionnelle gravité, car elle s’étendait non seulement à cette vie, mais aussi à l’au-delà.
Quiconque était excommunié se voyait refuser les saints sacrements. Son âme ne pouvait plus être lavée de ses péchés par la confession, l’extrême-onction lui était déniée. L’âme du défunt serait condamnée au purgatoire, voire à l’enfer.
Ayant interdit aux Orsini l’accès au paradis, Alexandre entreprit de détruire leur pouvoir temporel. Il rappela d’Espagne son fils Juan, en dépit des protestations de son épouse, Maria Enriquez : elle était de nouveau enceinte, et son premier-né, Juan II, âgé d’un an à peine, avait besoin de la présence de son père.
Le pape exigea toutefois que son fils revienne immédiatement en Italie : il commanderait les armées pontificales – car il n’était plus question de se fier à un condottiere après la trahison de Virginio Orsini. Dans le même temps, Alexandre adressa également une missive à son gendre, Giovanni Sforza, pour qu’il lui envoie autant de soldats que possible – non sans ajouter prudemment qu’il lui offrirait une grosse somme d’argent si cela était fait au plus vite.
Après le départ de Juan vers l’Espagne, César avait espéré un moment que son père songerait à le faire changer de rôle. Après tout, il avait toujours été à ses côtés pour l’aider dans toutes les questions touchant à l’État ; il comprenait l’Italie, alors que son frère demeurait fondamentalement espagnol.
Vint un jour, toutefois, où Alexandre lui confia ses projets : Juan devrait s’emparer des châteaux des Orsini, et les conserver à la papauté.
César explosa :
— Lui ? s’exclama-t-il, incrédule. Père, il n’y connaît rien ! Il ignore tout de la stratégie, il est trop occupé de lui-même ! Certes, il sait séduire les femmes, puiser dans la fortune familiale et satisfaire sa vanité ! Il est mon frère et je lui dois respect, mais je te jure que je pourrais conduire nos troupes les yeux bandés, et avoir plus de succès que lui !
Le pape plissa les paupières :
— César, tu es plus intelligent et plus doué, j’en conviens. Mais tu es cardinal, non soldat. À qui pourrais-je confier la tâche ? Ton frère Geoffroi ? Il serait capable de monter à cheval à l’envers ! Je n’ai donc pas le choix. Il faut qu’un Borgia commande nos armées, sinon l’excommunication des Orsini n’intimidera guère les autres.
César resta un moment silencieux avant de répondre :
— Et tu espères que Juan va remporter des victoires ? Tu as vu quelle a été sa conduite en Espagne ; jouer gros, courir la gueuse, insultant ainsi sa femme et les Enriquez, cousins germains du roi Ferdinand ! Mais tu le choisis quand même !
— Guido Feltra sera le véritable commandant en chef, dit Alexandre d’une voix apaisante. Il a beaucoup d’expérience militaire.
César avait entendu parler de Feltra. On le disait fidèle et compétent. Duc d’Urbino, c’était un grand mécène des arts et des lettres. Mais à la vérité, il n’était jamais que le fils d’un condottiere célèbre, qui avait conquis le duché à la pointe de l’épée. Guido lui-même n’avait que rarement combattu, livrant des batailles sans danger ; jamais il ne serait de taille face aux Orsini, bien connus pour leur férocité – surtout devant Bracciano, leur principale forteresse. Et si les troupes pontificales voulaient s’emparer d’Ostie, domaine du cardinal Della Rovere, Rome et le pape seraient en grand danger. Mais César ne dit mot de ses inquiétudes ; son père était incapable d’entendre raison lorsqu’il s’agissait de Juan.
Plus tard, toujours furieux, il envoya un message à Lucrèce, et fit promettre à Don Michelotto d’accompagner la jeune femme depuis Pesaro : car César avait demandé à sa sœur de le retrouver au Lac d’Argent la semaine suivante.
Quand Lucrèce arriva, César l’attendait. Elle était vêtue d’une robe de satin bleu qui
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