Le sang des Borgia
l’avoir remarqué.
Ce soir-là, pourtant, la réunion achevée, alors que le pape était seul avec Duarte, il lui demanda :
— Tu penses que c’est une erreur de charger Juan d’aller affronter les Orsini ?
— Disons qu’il est regrettable qu’un prince, de par l’ordre des naissances, devienne un soldat, et un vrai guerrier un cardinal.
— Ne crois-tu donc pas à la destinée ? Aux plans du Père céleste ?
— Qui peut se flatter de les connaître ? Nous autres, simples mortels, sommes toujours sujets aux erreurs d’interprétation – y compris les plus honorables et les plus vertueux !
— Duarte, dit Alexandre, la coutume veut que le deuxième fils serve l’Église. De ce point de vue, il n’y a pas d’erreur possible. Le destin d’un homme est à la fois un don et un fardeau : il ne doit pas lutter, mais dire : « Mon Dieu, que votre volonté soit faite, et non la mienne. »
Le rire de Brandao résonna dans la salle.
— Pardonnez-moi, Votre Sainteté. C’est avec respect et admiration que je ferai valoir un autre argument. Qui vous dit que César est votre deuxième fils ? L’attrait que vous exercez sur les femmes est légendaire, votre vigueur a des proportions épiques. J’ai peine à croire qu’il n’y a pas eu d’autres fils, dont les mères vous auraient dissimulé l’existence…
Alexandre éclata de rire :
— Tu es un excellent conseiller, et un grand diplomate ! Ton argument nous servira si un jour le destin du cardinal est d’être un guerrier de l’Église. Mais, pour le moment, c’est Juan qui commandera nos armées. Il faudra donc nous agenouiller et prier pour la victoire.
César, qui se tenait à l’entrée, surprit une bonne part de la conversation et, pour la première fois, eut quelque espoir. Se pourrait-il vraiment qu’il y ait, au-dessus et au-delà de la perfidie du monde, un ciel, un Père céleste capable d’écouter ? Il se retira dans ses appartements, la tête pleine de chimères, osant pour la première fois imaginer le jour où il pourrait être appelé à commander les troupes pontificales.
Juan Borgia et le condottiere Guido Feltra, partant du nord de Rome, se dirigèrent avec leurs troupes vers la première forteresse des Orsini. Ceux-ci étaient de farouches soldats ; mais ils succombèrent sous le nombre, et la citadelle tomba sans combat, comme la suivante.
Quand Duarte apprit la nouvelle, il s’en alla trouver le pape :
— Je crois que c’est une ruse des Orsini, visant à faire croire aux chefs de notre armée que la victoire sera facile. Ce n’est qu’ensuite que nos ennemis feront la preuve de leurs capacités.
— Tu ne fais pas confiance à Feltra ?
— J’ai déjà vu les Orsini à l’œuvre.
César était là. Son père, connaissant ses talents de stratège, lui demanda :
— Parle franchement. D’après toi, quel est le plus grand danger qui nous menace ?
César prit soin de dominer ses sentiments et répondit d’un ton prudent :
— Je crains que Feltra ne soit pas plus doué pour les choses militaires que notre commandant en chef. Après des victoires aussi faciles, ils vont baisser leur garde, ce qui mènera à un désastre à Bracciano, où les Orsini ont rassemblé leurs meilleurs guerriers. Et Della Rovere fait tout pour les convaincre qu’il s’agit d’une guerre sainte, ce qui les rendra encore plus forts.
Le pape fut très impressionné par cette analyse, mais il ignorait encore à quel point elle était exacte. Au bout de quelques jours, la résistance des Orsini se durcit, tandis que Della Rovere demandait à Vito Vitelli, commandant d’artillerie réputé, de lever une armée pour leur venir en aide.
Les troupes qu’il avait réunies s’avancèrent sans perdre de temps et fondirent sur l’armée pontificale à Soriano. Ce fut une écrasante défaite où Juan et Guido Feltra firent amplement la preuve de leur incompétence. Feltra fut fait prisonnier et jeté dans un donjon des Orsini ; plus heureux, Juan réussit à s’enfuir sans une égratignure.
Apprenant la nouvelle, et sachant qu’au moins son fils était indemne, Alexandre convoqua de nouveau César et Brandao.
— Cette guerre n’est pas perdue, dit celui-ci, car nous avons encore bien des ressources.
— Si le danger est si grand, intervint César, nous pouvons toujours recourir aux troupes espagnoles de Gonsalvo de Cordoba, basées à Naples…
Mais après avoir rencontré les ambassadeurs français, espagnol
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