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Le sang des Borgia

Le sang des Borgia

Titel: Le sang des Borgia Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mario Puzo
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devoir d’en effacer le désir dans les cœurs et les esprits des hommes. L’Église en est capable. Mais il nous sera à jamais impossible de supprimer le pouvoir de la société. Nous ne pourrons donc jamais extirper le mal au sein de la civilisation. La société sera toujours injuste, cruelle envers l’homme du peuple. Quel bonheur si, un jour, les hommes cessaient au moins de se duper et de s’assassiner !
    Il se tourna vers Juan et César :
    — Il est dans la nature même de la société que, pour maintenir l’unité de son peuple, un roi doive pendre ou brûler ses sujets, afin de soumettre leur volonté. Car l’humanité est aussi intraitable que la nature, et certains démons sont insensibles à l’eau bénite.
    Il leva son verre :
    — À notre mère l’Église, et à notre famille. Puissions-nous prospérer en répandant la parole de Dieu dans le monde entier !
    Tous l’imitèrent et crièrent :
    — Vive le pape Alexandre ! Que Dieu lui accorde santé, bonheur, la sagesse de Salomon et des grands philosophes !
    Tous se retirèrent bientôt dans les chaumières installées au bord du lac, et dont chacune était ornée d’un oriflamme représentant un taureau rouge, l’emblème des Borgia.
    Dans l’une d’elles, Geoffroi marchait de long en large, l’air boudeur. Quand, un peu plus tôt, il lui avait demandé de la suivre, Sancia avait refusé en ricanant, et congédié son jeune époux d’un geste de la main. Il s’était senti rougir de honte sous les regards de l’assistance.
    La journée entière avait été une humiliation. Il est vrai que les autres buvaient, riaient et se donnaient tant de bon temps qu’ils n’avaient sans doute rien remarqué. Quand sa femme et son frère avaient chanté, il avait souri et applaudi, comme l’exigeaient les convenances, mais ce spectacle l’avait fait grincer des dents.
    Il était donc rentré seul. Après avoir, en vain, tenté de dormir, il ressortit pour apaiser un peu son agitation. Il se sentit un peu moins solitaire en entendant le bruissement des créatures nocturnes dans les fourrés. Il s’assit et, quelque peu apaisé par la fraîcheur du sol, réfléchit, songeant à son père, à ses frères et à sa sœur.
    Il avait toujours su qu’il était moins intelligent que César, et beaucoup moins fort que Juan. Pourtant, il comprenait confusément que ses propres péchés étaient moins graves que l’ambition du premier et la cruauté du second.
    À quoi bon, d’ailleurs, avoir l’intelligence vive ? Sa sœur Lucrèce était, en ce domaine, infiniment plus douée que lui, et pourtant elle n’avait pas plus le choix. Tout cela avait bien moins d’importance que les conseils que pouvaient vous donner une âme et un cœur purs.
    Juan avait toujours été le plus féroce envers lui : il l’injuriait déjà quand Geoffroi était tout petit. Prince de l’Église, César était tenu de réprimander son frère cadet pour ses excès, mais toujours avec une bonté un peu hautaine, non la cruauté et le goût d’humilier propres à Juan. Lucrèce le traitait avec affection, elle lui donnait toujours l’impression d’être heureuse de le voir. Mais son père le pape semblait à peine remarquer son existence.
    Repris par son agitation, Geoffroi résolut de se mettre en quête de Sancia ; il la convaincrait de revenir avec lui dans leur chaumière. Se levant, il emprunta l’étroit sentier serpentant entre les arbres. Puis il aperçut deux ombres à peine visibles sous le ciel noir. Il fut tenté de les appeler, mais quelque chose l’en dissuada.
    Il l’entendit rire avant même de la voir. La lune révéla alors la présence de son frère Juan, qui marchait bras dessus bras dessous avec Sancia. Sans faire de bruit, Geoffroi rebroussa chemin et fit un détour pour les précéder sur le chemin de la chaumière. Il eut un rictus méprisant quand il vit son frère donner à la jeune femme un baiser passionné.
    Geoffroi le jugea méprisable. Mais il y avait quelque chose de plus : Juan était l’incarnation du mal, cela ne faisait aucun doute. Il n’était plus son frère.
    Juan s’éloignait : d’excellente humeur, il sortit sa dague de son fourreau, l’agita et éclata de rire :
    — Je serai bientôt commandant en chef des armées du pape, et alors tu verras ce dont je suis capable !
    Geoffroi secoua la tête, s’efforçant de maîtriser sa fureur. Puis, avec un calme effrayant, il chercha à se raisonner. Les batailles

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