Le sang des Borgia
et vénitien, qui le pressaient de signer la paix, le pape, diplomate dans l’âme, accepta, bien qu’à contrecœur, de rendre aux Orsini les forteresses qu’il leur avait prises. Bien entendu, cela donnerait lieu à dédommagement : après de longs palabres, Alexandre accepta de se contenter de cinquante mille ducats. Après tout, il fallait bien remplir les coffres de l’Église.
Toutefois, quand Juan revint à Rome, il se plaignit amèrement de ces accords qui l’avaient privé de ses futures conquêtes, et des richesses qui les accompagnaient. Il réclama donc les cinquante mille ducats, et le pape – à la grande consternation de César – finit par céder.
Il y avait pourtant un problème plus grave encore : pour rétablir une renommée fortement compromise, Juan tenait à se voir confier la tâche de reprendre le port d’Ostie, contrôlé par une garnison française laissée sur place par Charles VIII.
César courut voir son père :
— Je sais bien qu’il n’y a là-bas que quelques troupes ! s’exclama-t-il Mais s’il y a un moyen de perdre, Juan le trouvera, et sa défaite sera celle de la papauté et des Borgia ! Della Rovere tend le piège en attendant que nous commettions cette folie !
— César, soupira Alexandre, nous avons déjà discuté de tout cela bien des fois. Crois-tu que je sois assez sot pour ne pas m’en rendre compte ? Cette fois, je veux la victoire, et j’appellerai Gonsalvo de Cordoba : il n’y a pas de meilleur capitaine au monde.
— Cela n’empêchera pas mon frère de vouloir se mêler de tout, et de supplanter Cordoba ! Je t’en supplie, réfléchis !
— Juan ne fera rien de tel, répliqua le pape, têtu. Je lui ai donné des instructions très strictes. Il quittera simplement Rome à la tête de nos armées et, une fois la victoire acquise, reviendra ici en vainqueur, en arborant la bannière des Borgia. Il n’aura pas à donner d’ordres, ni même de conseils !
Juan obéit à son père. Il quitta Rome sur un superbe cheval noir, agitant son chapeau à l’intention des foules bordant les rues qu’il empruntait.
Gonsalvo de Cordoba organisa la chute d’Ostie de main de maître, et conquit la ville sans que la garnison française puisse opposer grande résistance. Juan reprit donc le chemin de Rome, où il entra sous les vivats.
Trois jours plus tard, le cardinal Ascanio Sforza donna au palazzo Borgia un grand bal auquel il invita des hôtes de marque, dont les enfants d’Alexandre. Deux des Médicis, Piero et Gio – dont César avait été l’ami à l’université – se trouvaient également à Rome ; leur famille avait été chassée de Florence par les Français, et par les prêches de Savonarole.
L’énorme palais avait accueilli les Borgia du temps où leur père était encore cardinal ; devenu pape, il en avait fait don à Sforza. C’était, de l’avis général, le plus beau de Rome.
Ce soir-là, César s’y rendit avec plusieurs de ses amis, avec qui il avait passé la nuit précédente à boire et à jouer.
Les murs de l’immense entrée étaient tendus de tapisseries superbes. L’endroit donnait sur d’autres pièces au mobilier magnifique, au sol couvert de tapis d’Orient précieux, aux couleurs assorties à celles des sièges de velours et de satin.
De jeunes couples dansaient déjà dans la grande salle de réception, au son d’un orchestre installé sur la mezzanine.
César, qu’accompagnait une courtisane connue, venait de danser avec elle quand il vit arriver Gonsalvo de Cordoba. Solidement bâti, l’air toujours grave, celui-ci semblait particulièrement agité. Il s’inclina, puis demanda au fils du pape la permission de lui parler en privé.
César conduisit le capitaine espagnol jusqu’à l’un de ces balcons où il avait joué enfant. Il dominait une cour où beaucoup de gens bavardaient en riant, tout en dévorant des hors-d’œuvre et en buvant le vin que des serviteurs leur proposaient sur des plateaux d’argent.
Une vive colère déformait les traits de Gonsalvo de Cordoba :
— Je suis furieux contre votre frère à un point que vous ne pouvez imaginer !
César lui posa la main sur l’épaule :
— Qu’a-t-il donc fait ?
— Vous n’ignorez pas qu’il n’a joué aucun rôle dans la prise d’Ostie ?
César eut un grand sourire :
— C’est bien ce que je pensais, puisque nous avons gagné.
— Mais savez-vous qu’il s’en attribue le mérite, et va répétant partout
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