Le sang des Borgia
attendait de ses enfants une fidélité sans faille. Lui dire la vérité sur la relation unissant le frère et la sœur ouvrirait les portes de l’enfer.
César n’en avait jamais soufflé mot à quiconque, parvenant à tenir sa langue même quand il était ivre ou en compagnie des courtisanes. Ses serviteurs ne diraient jamais rien, de peur d’y laisser leur tête. Mais son père, étant pape, ne pourrait-il, guidé par l’inspiration divine, lire dans l’âme de son fils ?
Le visage farouche d’Alexandre s’adoucit brusquement, et il sourit :
— Don Michelotto ! Trouve-moi quelqu’un qui se rendra chaque jour au couvent. Je suis certain que Lucrèce finira par céder. Veille à ce qu’il soit affable, intelligent, séduisant, que ma chère fille accepte mes messages ; elle reviendra un jour ou l’autre.
Don Michelotto, obéissant aux consignes du pape, choisit un jeune homme nommé Perotto, qu’il savait fort apprécié d’Alexandre ; musicien et poète, plus instruit que la plupart des courtisans, l’adolescent était venu d’Espagne pour découvrir les beautés de Rome, dont on lui avait tant parlé. Il était intègre et totalement dévoué à l’Église.
Quand le pape lui confia le premier message destiné à sa fille, ce fut en sachant que si Perotto ne le lui remettait pas, c’est qu’il avait été assassiné en route. C’est dire la confiance qu’il lui portait.
Lorsque Lucrèce reçut le jeune homme dans le jardin du couvent, elle refusa d’abord la missive qu’il apportait :
— Je ne souhaite pas être en désaccord avec le Saint-Père, dit-elle. Et le meilleur moyen d’y parvenir, c’est de ne pas entrer dans des discussions avec lui.
Les yeux clairs de Perotto pétillèrent ; agitant sa longue chevelure blonde, il répondit gaiement :
— Je comprends parfaitement, Votre Seigneurie. Je ne me permets d’abuser de votre bonne volonté que parce que je crois que ce message parle de choses importantes.
Lucrèce le regarda, secoua la tête puis alla s’asseoir sur l’un des bancs de pierre du jardin en se demandant que faire.
Au lieu de se retirer, ou de laisser la lettre sur place, Perotto s’éclipsa quelques instants, revint avec sa guitare, et demanda à Lucrèce la permission de jouer.
Elle fronça les sourcils, mais il avait un visage si doux, si plaisant… la vie du couvent était si morne…
— Si tu veux.
Elle fut surprise en l’entendant chanter : il avait une voix des plus agréables. Cela faisait si longtemps que Lucrèce n’avait pas eu de compagnie masculine qu’elle sourit sans même s’en rendre compte.
Quand il en eut terminé, elle se sentait de si bonne humeur qu’elle accepta de recevoir le message, que Perotto lui remit en souriant.
Sur un ton très formel, son père lui apprenait que les négociations relatives à l’annulation de son mariage se poursuivaient, et progressaient un peu. Giovanni réfléchissait aux compensations qu’on lui offrait. Alexandre ajoutait que, si elle avait des inquiétudes, il faudrait qu’elle lui en fasse part ; le messager reviendrait le lendemain pour apporter d’autres nouvelles.
Elle se rendit dans les appartements qu’elle occupait au couvent pour rédiger une brève réponse fort conventionnelle, déclarant à son père qu’elle espérait qu’il allait bien, et le remerciait de ses efforts. Mais elle signa simplement « Lucrèce Borgia », pour lui faire comprendre qu’elle lui en voulait toujours.
Le lendemain, Alexandre se leva bien décidé à en finir. Les affaires de l’Église ne le retenant que peu de temps, il consacra le plus clair de sa journée aux affaires familiales.
César, lui aussi, était de bonne humeur et, venant trouver son père, lui dit :
— Il serait peut-être temps d’organiser de nouvelles fêtes, car la ville s’agite : les Romains doivent se distraire, faute de quoi tout finira par des troubles.
— C’est vrai. J’aurais moi-même besoin d’un carnaval, je deviens bien trop sérieux à m’occuper de l’Église !
C’est à ce moment que Plandini vint leur annoncer l’arrivée de Ludovico Sforza et de son neveu Giovanni.
Tous quatre s’assirent autour d’une table de marbre pour faire honneur aux fromages, aux fruits et au vin qui leur furent servis. On échangea quelques plaisanteries, puis Alexandre se tourna vers le More :
— Ludovico, tourner en rond ne sert à rien. Je vous ai invités aujourd’hui pour parvenir à un divorce en
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